Décision sur plusieurs affaires

Critique des politiques d’immigration de l’UE et des immigrants

La majorité des membres du Conseil ont estimé que deux éléments de contenu portant sur l’immigration, publiés à l’approche des élections du Parlement européen de juin 2024, enfreignent la politique relative à la conduite haineuse et que Meta devrait les supprimer.

2 cas inclus dans ce lot

Renversé

FB-ZQQA0ZIP

Cas relatif aux sur Facebook

Plate-forme
Facebook
Sujet
Discrimination,Liberté d’expression,Communautés marginalisées
Emplacement
Allemagne
Date
Publié le 23 avril 2025
Renversé

FB-0B8YESCO

Cas relatif aux sur Facebook

Plate-forme
Facebook
Sujet
Discrimination,Liberté d’expression,Communautés marginalisées
Emplacement
La Pologne
Date
Publié le 23 avril 2025

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Résumé

La majorité des membres du Conseil ont estimé que deux éléments de contenu portant sur l’immigration, publiés sur Facebook à l’approche des élections du Parlement européen de juin 2024, enfreignent la politique relative à la conduite haineuse et que Meta devrait les supprimer. Le Conseil reconnaît que le droit à la liberté d’expression prime quand il s’agit d’évaluer des discussions et des commentaires à caractère politique. Toutefois, le contenu tel que celui de ces deux publications entraîne une augmentation du risque de violence et de discrimination à l’approche d’élections dans le cadre desquelles l’immigration était une problématique politique clé et alors que le sentiment anti-immigrés prenait de l’ampleur. Pour la majorité des membres, supprimer ces publications est une mesure nécessaire et proportionnée. Une publication réalisée par un parti politique polonais utilise volontairement un terme raciste pour susciter le sentiment anti-migrants. L’autre publication fait une généralité en décrivant les immigrants comme des violeurs en réunion, une affirmation qui, si elle est répétée, provoque la peur et la haine.

Remarque supplémentaire : Les révisions apportées le 7 janvier 2025 par Meta n’ont pas influé sur l’issue de ces cas-ci, bien que le Conseil ait tenu compte des règles en vigueur au moment de leur publication et de leurs mises à jour au cours de ses délibérations. En ce qui concerne les changements plus larges de politique et de mise en application annoncés à la hâte par Meta en janvier, le Conseil s’inquiète du fait que Meta n’a pas fait part publiquement de la diligence raisonnable dont elle a fait preuve en matière de droits humains, le cas échéant, conformément à ses engagements au titre des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Il est indispensable que Meta veille à ce que toute répercussion négative sur les droits humains dans le monde soit identifiée et évitée.

À propos du cas

Le premier cas implique un meme publié sur la page Facebook officielle d’une alliance politique polonaise d’extrême droite, la Confédération. Dans ce meme, le Premier ministre polonais Donald Tusk regarde par le judas d’une porte alors qu’un homme noir arrive derrière lui. Le texte en polonais dit : « Bonsoir, avez-vous voté pour la Plateforme ? J’ai amené le murzyn du pacte sur l’immigration. » La Plateforme est le parti politique que Donald Tusk, la coalition de la Plateforme citoyenne. Le pacte est le Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile. Le mot polonais « murzyn », utilisé pour décrire les personnes noires, est largement considéré comme dénigrant. La légende critique le pacte européen et encourage la population à voter pour la Confédération aux élections européennes pour mettre fin à « l’immigration incontrôlée ». Ce contenu a été vu environ 170 000 fois.

Dans le second cas, une page Facebook allemande se décrivant comme contre les mouvements de gauche a publié une image générée par l’IA d’une femme blonde aux yeux bleus plaçant sa main devant elle comme pour dire « stop ». Le texte en allemand dit que les gens devraient arrêter d’entrer dans le pays, car l’Allemagne n’a plus besoin de « spécialistes des viols en réunion » en raison de la politique d’immigration du parti écologiste. Le texte renvoie également (sans hyperlien) vers un article intitulé « Suspects non allemands dans les viols en réunion » sur le site Web du Parlement allemand. Ce contenu a été vu environ 9000 fois.

Les deux publications ont été signalées pour discours haineux. Meta n’a pas décelé d’infraction et a donc laissé les publications sur Facebook. Des utilisateurs ont alors fait appel auprès du Conseil.

Principales conclusions

La majorité des membres du Conseil estiment que les deux publications enfreignent la nouvelle politique relative à la conduite haineuse, alors qu’une minorité d’entre eux n’estiment pas qu’il y ait infraction.

La publication polonaise comporte le mot « murzyn », qui est généralement considéré comme une injure discriminatoire utilisée pour attaquer les personnes noires sur la base de leur origine ethnique. Les changements réalisés par Meta le 7 janvier n’ont pas eu de répercussions sur ses règles en matière d’injures, définies comme « des mots qui créent intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation à l’encontre de personnes sur la base d’une caractéristique protégée ». La nature offensante de ce terme, qui insinue que les personnes noires sont inférieures ou manquent d’hygiène, est reconnue dans les principaux dictionnaires de langue polonaise. Il convient également de noter que les mouvements de la société civile, menés par des personnes noires et parlant le polonais, ont largement contribué à attirer l’attention sur la nature discriminatoire et les répercussions néfastes de ce terme. La majorité des membres du Conseil soulignent que « murzyn » ne fait pas encore partie de la liste d’injures de Meta, recommandent d’y remédier et exhortent à l’entreprise d’appliquer de manière plus précise sa politique sur les injures.

Une minorité des membres du Conseil ne sont pas d’accord et trouvent que le terme ne correspond pas à la définition que Meta fait des injures. Ces membres estiment qu’il faudrait pouvoir prouver clairement que le terme crée intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation.

La majorité des membres du Conseil estiment également que la publication allemande enfreint la politique et représente une attaque de Niveau 1, car elle fait une généralité des immigrants en affirmant qu’ils sont des « spécialistes des viols en réunion ». Cette règle interdisant les allégations sur des « actes immoraux ou criminels graves » fondés sur le statut d’immigré, y compris en décrivant des personnes comme des « prédateurs sexuels », n’a pas changé le 7 janvier. Pour que cette règle s’applique, les publications doivent viser plus de 50 % d’un groupe ; les directives internes de Meta (qui ne sont pas accessibles au public) conseillent donc aux examinateurs de conserver le contenu en cas de doute sur le respect des conditions. C’est pourquoi Meta a conservé la publication allemande. La majorité des membres du Conseil ne sont pas d’accord avec l’évaluation de Meta. Ces membres recommandent à l’entreprise de modifier la règle nécessitant que les utilisateurs indiquent clairement qu’ils visent moins de la moitié d’un groupe, par exemple, en utilisant des termes tels que « certains ».

Une minorité des membres du Conseil ne sont pas d’accord et estiment que la publication allemande n’affirme pas ou n’insinue pas que tous les immigrants ou leur majorité sont des violeurs en réunion.

Enfin, la majorité des membres du Conseil indiquent que Meta devrait prendre en considération les répercussions de ces conduites haineuses sur ses plateformes sur les droits humains. Une minorité des membres n’est pas d’accord avec la majorité et estiment que la suppression de la publication n’aurait été justifiée que si la publication constituait une incitation à de la violence probable et imminence et à la discrimination. Ces deux publications n’appelaient à aucune action, sauf à participer au scrutin et à discuter de l’intérêt public dans le cadre de l’immigration.

La décision du Conseil de surveillance

Le Conseil de surveillance annule la décision de Meta :

Le Conseil recommande à Meta ce qui suit :

  • À l’égard des mises à jour du 7 janvier 2025 du Standard de la communauté relatif à la conduite haineuse, Meta devrait identifier la manière dont les mises à jour et la mise en application de la politique peuvent avoir des répercussions négatives sur les droits des immigrants, en particulier les réfugiés et les demandeurs d’asile. Cette identification devrait porter plus particulièrement sur les marchés dans lesquels ces populations courent un risque plus élevé. Meta devrait également prendre des mesures pour prévenir et/ou limiter ces risques et contrôler leur efficacité. Enfin, Meta devrait faire état de ses progrès auprès du Conseil tous les six mois et rédiger des rapports publics à ce sujet le plus tôt possible.
  • Meta devrait ajouter le terme « murzyn » à sa liste d’injures pour le marché polonais.
  • Lors de l’audit de ses listes d’injures, Meta devrait s’assurer de collaborer suffisamment avec les parties prenantes externes pertinentes, y compris en se concertant avec les groupes concernés et avec la société civile.
  • Meta devrait aussi mettre à jour ses directives internes, afin de rendre plus clair le fait que les attaques de Niveau 1 (y compris celles qui sont fondées sur le statut d’immigration) sont interdites, sauf si le contenu fait clairement référence à une partie définie du groupe, représentant moins de la moitié de ce groupe. Cela inverserait la présomption actuelle selon laquelle le contenu fait référence à une minorité, sauf s’il mentionne le contraire.

* Les résumés de cas donnent un aperçu du cas et n’ont pas valeur de précédent.

Décision complète sur le cas

1. Description du cas et contexte

Le Conseil de surveillance a examiné deux cas impliquant du contenu publié sur Facebook à l’approche des élections du Parlement européen de juin 2024, lors desquelles l’immigration était une problématique majeure. Le Pacte sur la migration et l’asile de l’Union européenne (UE) avait été adopté au mois de mai afin d’établir de nouvelles règles de gestion des migrations en Europe.

Le premier cas implique un meme publié par l’administrateur d’une page Facebook officielle d’une alliance politique polonaise d’extrême droite, la Confédération (Konfederacja Wolność i Niepodległość). L’image représente le Premier ministre du pays, Donald Tusk, qui regarde par le judas d’une porte et un homme noir qui arrive derrière lui. Le texte en polonais apposé sur l’image dit : « Bonsoir, avez-vous voté pour la Plateforme ? J’ai amené le murzyn du pacte sur l’immigration. » La « Plateforme » fait référence à la coalition citoyenne centriste de Donald Tusk, arrivée au pouvoir en décembre 2023. « Murzyn », le terme polonais utilisé dans ce texte pour décrire les personnes noires, est largement considéré comme étant une insulte dénigrante en Pologne, même si Meta ne l’interdit pas. La légende critique le pacte de l’UE et encourage la population à voter pour la Confédération aux élections européennes pour que les immigrants ne puissent plus entrer en Pologne et en UE. La publication a été vue environ 170 000 fois, a été partagée moins de 500 fois et commentée moins de 500 fois.

Dans le second cas, les administrateurs d’un page Facebook allemande décrite comme contre les groupes de gauche ont publié une image semblant avoir été générée par l’IA. L’image représente une femme blonde aux yeux bleus, plaçant sa main devant elle comme pour dire « stop ». En arrière-plan, on peut voir un symbole stop et un drapeau allemand. Le texte en allemand apposé sur l’image dit qu’il ne faut plus venir en Allemagne, car ils n’ont plus besoin de « spécialistes des viols en réunion » en raison de la politique d’immigration du parti écologiste. Ensuite, le texte mentionne en beaucoup plus petit l’adresse internet (sans hyperlien) d’un article intitulé « Suspects non allemands dans les viols en réunion » sur le site Web du Parlement allemand. La publication a été vue environ 9000 fois et a été partagée moins de 500 fois.

Dix utilisateurs de Facebook ont signalé la publication polonaise et un utilisateur a signalé la publication allemande, chaque fois pour discours haineux. Meta a laissé les deux publications sur Facebook et, après un appel infructueux des deux décisions auprès de Meta, les deux cas ont été renvoyés au Conseil.

Le 7 janvier 2025, Meta a annoncé la mise à jour de sa politique en matière de discours haineux et l’a renommée la politique en matière de conduite haineuse. Ces modifications, dans la mesure où elles sont pertinentes dans ces cas, seront décrites dans la section 3 et analysées dans la section 5. Le Conseil note que le contenu est accessible en permanence sur les plateformes de Meta et que les politiques mises à jour sont appliquées à tout le contenu présent sur la plateforme, quelle que soit la date à laquelle il a été publié. Le Conseil évalue donc l’application des politiques telles qu’elles étaient au moment de leur publication et, le cas échéant, telles qu’elles ont été révisées depuis (voir également l’approche adoptée pour les contenus négationnistes).

2. Soumissions de l’utilisateur

L’utilisateur qui a fait appel pour la publication polonaise a cité des références académiques pour étayer son propos, signifiant que « murzyn » est un terme péjoratif et dénigrant qui perpétue les stéréotypes raciaux et la discrimination. L’utilisateur qui a fait appel pour la publication allemande a souligné que la publication semblait affirmer que tous les réfugiés sont des criminels et des violeurs.

3. Politiques de Meta relatives au contenu et soumissions

I. Politiques de Meta relatives au contenu

Standard de la communauté en matière de conduite haineuse (précédemment discours haineux)

Meta définit la conduite haineuse de la même manière qu’elle définissait le « discours haineux », à savoir comme des « attaques directes contre des personnes » du fait de leurs caractéristiques protégées, notamment leur origine nationale et ethnique. La politique continue de traiter le statut d’immigration comme une « caractéristique quasi-protégée ». Cela signifie que Meta ne protège les immigrants que des attaques les plus graves, celles du Niveau 1 de la politique. Le 7 janvier, Meta a ajouté une explication à la justification de la politique, selon laquelle certaines personnes « appellent à l’exclusion ou utilisent un langage insultant dans le cadre de discussions sur des sujets politiques ou religieux », notamment l’immigration. Meta affirme explicitement que ses « politiques ont été élaborées pour permettre ces types de discours ».

Le Niveau 1 interdit les « allégations sur des actes immoraux et criminels graves et donne comme exemple les prédateurs sexuels et les criminels violents. Précédemment, la politique interdisait toutes allégations portant sur des formes moins graves de criminalité, mais ces dernières ont été déplacées au Niveau 2. Le Niveau 2 ne protège pas autant les migrants, Meta autorise donc désormais les affirmations selon lesquelles la majorité des migrants sont, par exemple, des voleurs. Le Niveau 2 interdit toujours les appels à l’exclusion, mais cette protection ne s’étend pas aux migrants.

Le Niveau 1 indique que les interdictions ne s’appliquent pas si le contenu cible moins de la moitié d’un groupe. Les directives internes de Meta destinées aux modérateurs expliquent la manière dont il convient de traiter les attaques ciblant moins de 100 % d’un groupe, y compris sur la base du statut d’immigration. Si le contenu inclut un quantificateur tel que « la plupart », qui indique que l’on fait référence à plus de 50 % du groupe, l’interdiction du Niveau 1 s’applique. S’il n’est pas possible de déterminer clairement si le contenu fait référence à plus de 50 % du groupe, le contenu est autorisé. Par conséquent, le contenu affirmant que tous les migrants ou que la plupart des migrants dans un pays sont les violeurs ou de violents criminels est interdit, mais le contenu affirmant que certains migrants sont des violeurs ou de violents criminels est autorisé.

Le Niveau 1 de la politique relative à la conduite haineuse interdit toujours « le contenu qui décrit ou cible négativement des personnes par des injures ». Ces dernières sont définies comme « des mots qui créent intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation à l’encontre de personnes sur la base d’une caractéristique protégée, souvent parce que ces mots renvoient à une discrimination, une oppression et une violence historiques ». Meta décrit dans son Espace modération la manière dont elle met à jour sa liste d’injures.

II. Soumissions de Meta

Meta a conservé les deux publications, car elle a estimé qu’aucune d’entre elles n’enfreignait sa nouvelle politique en matière de conduite haineuse. Meta a confirmé que les modifications du 7 janvier n’ont pas eu d’effet sur ses décisions, car ses politiques en matière d’injures raciales et de généralisations comparant les migrants à des prédateurs sexuels ou à de violents criminels n’ont pas changé.

Meta a indiqué que la publication n’enfreignait pas la politique parce qu’elle ne contenait pas d’attaque enfreignant le Niveau 1. Meta ne considère pas « murzyn » comme une insulte sur le marché polonais. Meta a expliqué avoir envisagé d’ajouter ce terme à sa liste en 2023, mais ne pas l’avoir fait après avoir déterminé que son utilisation était historiquement neutre et que, même si le terme pouvait être utilisé avec mépris, sa similarité avec d’autres mots pouvait entraîner une application excessive de la règle.

Quant à la publication allemande, Meta a estimé que le contenu n’enfreignait pas ses politiques, car il « n’est pas clair si le contenu compare tous les migrants, la plupart des migrants ou certains migrants à des spécialistes des viols en réunion ». Pour Meta, le contenu n’indique pas et n’insinue pas que tous les migrants ou que la plupart des migrants sont des violeurs en réunion. Meta a également souligné que l’article mentionné dans la publication n’étaye pas la conclusion selon laquelle la publication attaque la majorité des immigrants en Allemagne.

Enfin, alors que Meta a reconnu que les deux publications pouvaient être perçues comme appelant à l’exclusion, l’entreprise a expliqué qu’aucune des deux n’enfreignait son interdiction d’appeler à l’exclusion, car les interdictions du Niveau 2 ne protègent pas les individus sur la base de leur statut d’immigration.

Le Conseil a interrogé Meta sur sa politique en matière de conduite haineuse, sur la liste d’injures et sur la manière dont elle évalue le contenu de partis politiques et les propos anti-immigration dans le contexte électoral. Meta a répondu à toutes les questions.

4. Commentaires publics

Le Conseil de surveillance a reçu 18 commentaires publics qui répondent aux critères de soumission. 15 de ces commentaires ont été soumis en Europe, deux aux États-Unis et un en Afrique subsaharienne. Étant donné que la période pour la soumission de commentaires publics expirait avant le 7 janvier 2025, aucun des commentaires n’a abordé les changements de politique réalisés par Meta à cette date. Pour consulter les commentaires publics soumis accompagnés d’un consentement à la publication, cliquez ici.

Les soumissions portaient sur les thèmes suivants : le fait que « murzyn » est une insulte discriminante, la rhétorique anti-immigration sur les réseaux sociaux, les liens entre le discours haineux en ligne et la violence hors ligne, l’importance de la possibilité d’aborder les problèmes liés à l’immigration et la montée des théories du complot dans la rhétorique politique sur les questions d’immigration.

5. Analyse du Conseil de surveillance

Le Conseil a sélectionné ces cas afin d’examiner la manière dont Meta favorise la liberté d’expression dans les discussions autour de l’immigration, tout en respectant les droits humains des migrants dans le contexte électoral. Ces cas s’inscrivent dans le cadre des priorités stratégiques du Conseil, à savoir le discours haineux à l’encontre des groupes marginalisés et les élections et l’espace civique.

Le Conseil a analysé les décisions de Meta dans ces cas, en les comparant à ses politiques relatives au contenu, à ses valeurs et à ses responsabilités en matière de droits humains. Le Conseil a également évalué les implications de ces cas pour l’approche plus globale de Meta dans le cadre de la gouvernance du contenu.

5.1 Respect des politiques de Meta relatives au contenu

La majorité des membres du Conseil estiment que les deux publications, la publication polonaise et la publication allemande, enfreignent la politique relative à la conduite haineuse et doivent être retirées de Facebook. Une minorité des membres du Conseil trouvent que ces publications ne constituent une infraction à aucune des règles de la politique relative à la conduite haineuse. L’avis du Conseil n’a pas changé à la suite des modifications apportées par Meta le 7 janvier.

La majorité des membres du Conseil trouvent que « murzyn » est une injure discriminante au sens de la politique de Meta, car le terme est utilisé pour attaquer les personnes noires sur la base de leur origine ethnique, créant de manière inhérente une atmosphère de discrimination, d’exclusion et d’intimidation. Le Conseil souligne que ce terme est massivement utilisé en ligne dans le cadre de déclarations dénigrantes sur les personnes noires (voir aussi les commentaires publics, notamment ceux de l’Institute for Strategic Dialogue – PC-30797, PC-30795 and PC-30790). Les experts que le Conseil a consultés ont expliqué que ce terme est utilisé dans des expressions et des proverbes insinuant que les personnes noires sont inférieures ou manquent d’hygiène, sur la base de leur origine ethnique. Les mouvements de la société civile, menés par des personnes noires en Pologne, ont largement contribué à attirer l’attention sur la nature discriminatoire et les répercussions néfastes de ce terme. Les préjudices, notamment le fait de perpétuer les stéréotypes négatifs et de légitimer les traitements discriminatoires en présentant les personnes noires comme « l’autre » au sein de la société, résultent de la nature dénigrante du terme et de ses associations avec l’infériorité. Pour la majorité des membres du Conseil, le fait qu’un terme soit considéré comme dénigrant et néfaste par le groupe marginalisé auquel il fait référence est particulièrement convaincant. C’est pourquoi Meta devrait consulter de manière plus systématique et plus approfondie les groupes concernés lors de l’audit de sa liste d’insultes et, plus généralement, lors de la mise à jour de ses politiques.

Le Conseil souligne le fait qu’il faut tenir compte du sens actuel du terme en question. Alors que certains locuteurs polonais maintiennent que le terme est neutre, le Conseil de langue polonaise a émis en 2020 une directive selon laquelle ce terme est archaïque et ne devrait pas être utilisé dans la sphère publique. Des experts ont également indiqué que, même si ce terme pouvait être perçu comme neutre au XXe siècle, il avait déjà des connotations négatives et péjoratives avant ce cas. Par exemple, le mot a déjà pu signifier « esclave », ce qui le relie directement à l’un des pires exemples de discrimination, d’oppression et de violence de l’histoire, correspondant ainsi tout à fait à la description que Meta fait d’une injure. Aujourd’hui, la plupart des dictionnaires de langue polonaise ont mis à jour leurs définitions du terme et reconnaissent qu’il est offensant. C’est pourquoi la majorité des membres du Conseil estiment qu’utiliser ce terme crée une atmosphère d’exclusion et d’intimidation. À ce titre, le Conseil émet une recommandation dans le but que Meta mette en application sa politique en matière d’injures de manière plus précise à l’avenir. La majorité des membres du Conseil remarquent également que si la publication n’avait pas utilisé cette insulte, elle aurait pu être acceptée en vertu des politiques de contenu de Meta (voir la décision du Conseil sur les Arméniens d’Azerbaïdjan).

Au contraire, une minorité des membres du Conseil ne pensent pas que la publication polonaise soit en infraction et estiment que le terme ne correspond pas à la définition que fait Meta d’une injure. Même si le terme peut être perçu comme offensant et dénigrant, cela ne suffit pas à considérer qu’il devrait être interdit. Pour la minorité des membres du Conseil, il faudrait qu’il soit plus clair que l’utilisation de ce terme crée intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation. Il ne suffit pas d’établir des liens corrélatifs avec des périodes historiques de discrimination, d’oppression et de violence (à d’autres époques et dans d’autres lieux), mais il faudrait prouver que l’utilisation du terme a été et continue d’être intrinsèquement liée à la perpétration de ces préjudices.

La majorité des membres du Conseil estiment que la publication allemande constitue une attaque de Niveau 1 en faisant une généralité des immigrants en affirmant qu’ils sont des « spécialistes des viols en réunion ». Cette interdiction est toujours en vigueur après les modifications réalisées par Meta le 7 janvier.

Pour la majorité des membres du Conseil, décrire les immigrants entrant dans le pays comme des « spécialistes des viols en réunion » sans utiliser de qualifiant comme « certains » ou « trop » exprime clairement une attaque généralisée envers tous les immigrants. Contrairement à l’évaluation de Meta, le fait que la publication inclut l’adresse Web (sans hyperlien et en beaucoup plus petit) d’un article intitulé « Suspects non allemands dans les viols en réunion » n’a pas de conséquences sur cette conclusion. Au contraire, cela soutient la conclusion de la majorité. Le texte de la publication ne reprend que le titre de l’article, qui, au lieu d’exprimer les nuances abordées dans l’analyse plus complète de l’article, laisse entendre que les « non-Allemands » sont généralement les suspects dans les cas de viols en réunion.

Pour une meilleure mise en application de la politique en matière de conduite haineuse, la majorité des membres du Conseil recommandent à Meta d’inverser sa présomption par défaut selon laquelle le contenu est considéré comme n’étant pas en infraction à moins de faire clairement référence à plus de 50 % d’un groupe (par exemple, « les immigrants sont des violeurs en réunion » devrait être considéré comme une généralisation et donc comme un contenu en infraction). Meta devrait exiger que les utilisateurs qui publient du contenu qui pourrait enfreindre la politique en matière de conduite haineuse indiquent clairement qu’ils ciblent moins de 50 % d’un groupe (par exemple, « certains immigrants sont des violeurs en réunion »).

Une minorité des membres du Conseil trouvent que, malgré le fait que la publication allemande est profondément offensante, il ne s’agit pas d’une généralisation interdite par la nouvelle version de la politique de Meta en matière de conduite haineuse ni par la version datant d’avant le 7 janvier. Selon cette minorité, le contenu n’indique pas et n’insinue pas que tous les migrants ou que la plupart des migrants sont des violeurs en réunion. Ces membres du Conseil s’inquiètent également du fait que la recommandation de la majorité entraînerait une charge pour les utilisateurs, qui devraient alors expliquer leurs positions. L’article mentionné dans la publication « Suspects non allemands dans les viols en réunion » ne soutient pas la conclusion selon laquelle la publication attaque la majorité des immigrants, car il comprend une discussion nuancée sur les raisons pour lesquelles les immigrants pourraient être surreprésentés dans les statistiques officielles sur les cas de viols en réunion. La minorité des membres du Conseil souligne que la publication aborde un sujet de discussion valide, particulièrement dans le contexte d’élections dans le cadre desquelles l’immigration, et en particulier le lien entre les migrants et la criminalité, est une problématique charnière. Les modifications apportées par Meta le 7 janvier à la justification de la politique relative à la conduite haineuse clarifient le fait que l’entreprise souhaite que ses politiques laissent plus de liberté d’expression au sujet de l’immigration.

5.2 Respect des responsabilités de Meta en matière de droits humains

La majorité des membres du Conseil estiment que la suppression des deux publications, telle que l’exige une interprétation correcte des politiques de Meta en matière de contenu, est également conforme aux responsabilités de Meta en matière de droits humains. Une minorité des membres du Conseil ne sont pas d’accord et estiment que la suppression n’est pas cohérente avec ces responsabilités.

Liberté d’expression (article 19 du PIDCP)

L’article 19 du PIDCP prévoit une large protection de la liberté d’expression, notamment dans le cadre des avis politiques, des affaires publiques et des droits humains (observation générale n° 34, paragraphes 11 et 12). Lorsque des restrictions de la liberté d’expression sont imposées par un État, elles doivent remplir des critères de légalité, d’objectif légitime, ainsi que de nécessité et de proportionnalité (article 19, paragraphe 3 du PIDCP). Ces exigences sont souvent reprises sous l’intitulé « test tripartite ».

Le Conseil s’appuie sur ce test afin d’interpréter les responsabilités de Meta en matière de droits humains conformément aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU (PDNU), que Meta elle-même s’est engagée à respecter dans sa politique relative aux droits humains. Le Conseil utilise ce test à la fois pour la décision relative au contenu individuel en cours d’examen et pour ce que cela dit de l’approche plus large de Meta en matière de gouvernance du contenu. En vertu du Principe directeur 13, les entreprises doivent « éviter de causer ou de contribuer à des impacts négatifs sur les droits humains par leurs propres activités » et « prévenir ou atténuer les impacts négatifs sur les droits humains qui sont directement liés à leurs activités, produits ou services ». Comme l’a déclaré le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression, même si « les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes devoirs que les gouvernements, leur influence est néanmoins telle qu’elle doit les inciter à se poser les mêmes questions qu’eux quant à la protection de la liberté d’expression de leurs utilisateurs » (A/74/486, paragraphe 41). Parallèlement, lorsque les règles de l’entreprise diffèrent des standards internationaux, les entreprises sont tenues de fournir à l’avance une explication motivée de la différence de politique, de manière à la comprendre (ibid., paragraphe 48).

I. Légalité (clarté et accessibilité des règles)

Le principe de légalité prévoit que les règles qui limitent la liberté d’expression soient accessibles, claires et suffisamment précises pour permettre à un individu d’adapter son comportement en conséquence (observation générale n° 34, paragraphe 25). En outre, ces règles « ne peu[ven]t pas conférer aux personnes chargées de [leur] application un pouvoir illimité de décider de la restriction de la liberté d’expression » et doivent « énoncer des règles suffisamment précises pour permettre aux personnes chargées de leur application d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et quelles formes d’expression le sont indûment » (Ibid). Lorsqu’elles s’appliquent aux acteurs privés, les règles régissant le discours en ligne devaient être claires et précises (A/HRC/38/35, paragraphe 46). Les personnes qui utilisent les plateformes de Meta doivent pouvoir accéder aux règles et les comprendre, et les équipes d’examen de contenu doivent disposer de conseils clairs sur leur application.

Le Conseil conclut que l’application des règles de la politique en matière de conduite haineuse ne pose pas de problème légal. Le Conseil est toutefois préoccupé par le fait qu’une version récente de cette politique, ayant vu le jour à la suite d’une mise à jour en décembre 2023 était appliquée dans le monde entier alors qu’elle n’était disponible qu’en anglais américain, jusqu’à ce que le Conseil interroge Meta à ce sujet. Les utilisateurs accédant à l’Espace modération depuis un autre marché arrivaient alors par défaut sur une traduction obsolète de la politique. Le Conseil encourage à nouveau Meta à faire plus attention à ce que ses règles soient accessibles dans toutes les langues aussi rapidement que possible après une modification de la politique (voir Inquiétude pendjabie concernant le RSS en Inde).

II. Objectif légitime

Toute restriction de la liberté d’expression doit répondre à un, ou plus, des objectifs légitimes énumérés dans le PIDCP, qui incluent les « droits d’autrui » (article 19, paragraphe 3 du PIDCP). Le Conseil a estimé dans plusieurs décisions que la politique de Meta en matière de discours haineux (rebaptisée « politique en matière de conduite haineuse ») visait à sauvegarder le droit à l’égalité et à la non-discrimination, un objectif légitime reconnu par les normes internationales relatives aux droits humains (voir les cas concernant le Dessin animé de Knin et le Bot au Myanmar). Cela continue d’être l’objectif légitime de la politique en matière de conduite haineuse.

III. Nécessité et proportionnalité

Conformément à l’article 19(3) du PIDCP, le principe de nécessité et de proportionnalité requiert que les restrictions de la liberté d’expression soient « appropriées pour remplir leur fonction de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger » (observation générale n° 34, paragraphe 34).

La valeur de l’expression est particulièrement élevée lorsque des sujets d’intérêt public sont abordés et le droit à la liberté d’expression est primordial lors de l’évaluation de discours et de commentaires politiques concernant des affaires publiques. Les individus ont le droit de rechercher, de recevoir et de diffuser des idées et des opinions de toutes sortes, y compris celles qui peuvent être considérées comme controversées ou profondément offensantes (observation générale n° 34, paragraphe 11). Dans sa décision relative aux commentaires d’une personnalité politique sur des changements démographiques, le Conseil a estimé que même si elle était controversée, l’expression de cette opinion sur l’immigration ne contenait pas de propos haineux ou déshumanisants directs envers des groupes vulnérables, ni d’appel à la violence.

La majorité des membres du Conseil estiment que la suppression des deux publications est nécessaire et proportionnée. Cette conclusion s’appuie sur les six facteurs énoncés dans le Plan d’action de Rabat concernant l’évaluation des risques posés par un éventuel discours haineux.

Dans la publication polonaise, le mot « murzyn » est utilisé de la manière courante, dans ce cas pour dénigrer des personnes sur la base de leur origine ethnique. L’utilisation répétée de ce terme sur les plateformes de Meta crée un environnement dans lequel la discrimination et la violence envers les personnes noires est plus probable. En l’occurrence, l’insulte n’est pas utilisée dans un contexte acceptable, à savoir pour parler de soi-même de manière positive ou pour condamner le discours haineux de quelqu’un d’autre ou pour sensibiliser à ce discours. Pour la majorité des membres du Conseil, les effets cumulatifs de l’utilisation répétée de cette insulte sur les plateformes de Meta sont comparables à l’utilisation déshumanisante des « blackfaces », comme abordé dans le cas de la représentation de Zwarte Piet. Il est cependant beaucoup plus évident dans cette publication que l’utilisateur utilise intentionnellement une terminologie raciste pour susciter un sentiment anti-migrants en exploitant des stéréotypes anti-Noirs (alors que dans le cas de Zwarte Piet, la suppression était justifiée sans qu’il y ait eu d’intention malveillante).

Par conséquent, la majorité des membres du Conseil estiment que la suppression de la publication aurait été nécessaire quel que soit le moment du partage. Le Conseil note en outre qu’en l’espèce, à l’approche d’une élection marquée par un fort sentiment anti-migrants, les risques de violence et de discrimination étaient accrus. Les experts que le Conseil a consultés ont souligné qu’en Pologne, des groupes d’autodéfense se sont organisés sur les réseaux sociaux pour former des « patrouilles civiles », ciblant les étrangers et les personnes ayant un accent étranger par la violence et l’intimidation hors ligne, y compris des attaques contre des logements destinés aux migrants. Selon l’OSCE, la police a enregistré 893 crimes de haine en Pologne en 2023, les motivations racistes et xénophobes en étant la catégorie la plus importante. Des recherches ont également montré que les crimes de haine en Pologne étaient le plus souvent subis par des personnes d’origine africaine. Dans ce contexte, il convient de noter que l’auteur de la publication est un parti politique qui jouit d’une audience et d’une part de voix non négligeables en Pologne. Ce parti dispose d’une vaste portée (ce message a été consulté environ 170 000 fois) et a la capacité d’inciter ses sympathisants à prendre des mesures et à attirer l’attention des médias. S’il est bien sûr important qu’un parti politique puisse faire campagne librement dans le cadre d’une élection, y compris en exprimant des préoccupations au sujet de l’immigration, il peut le faire sans utiliser d’insultes raciales (voir Arméniens d’Azerbaïdjan).

La publication allemande s’inscrit dans un contexte similaire à celui de la publication polonaise. Elle a également été partagée juste avant des élections au cours desquelles l’immigration était une question politique majeure, et où le sentiment anti-migrants était très présent. Conformément aux politiques de Meta, la majorité des membres du Conseil considèrent qu’il est nécessaire et proportionné de supprimer les déclarations généralisant le fait que la majorité des immigrants sont des violeurs en réunion. Le nombre de crimes contre les migrants et de propos anti-migrants en ligne étaient en hausse en Allemagne à ce moment-là. Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a déjà exprimé son « inquiétude face à l’image souvent extraordinairement négative que les médias, les responsables politiques et d’autres acteurs de la société donnent des migrants, mais aussi des groupes minoritaires dans de nombreux pays [appelant] à prendre des mesures pour enrayer la montée des attitudes xénophobes », (A/HRC/22/17/ADD.4, paragraphe 3). Les experts consultés par le Conseil ont observé que la rhétorique anti-immigrants en Allemagne, souvent exprimée et amplifiée sur les réseaux sociaux, a pu contribuer à des attaques contre les immigrants et les minorités (voir également les commentaires publics PC-30803, PC-30797 et PC-30790). Les émeutes de 2024 au Royaume-Uni ont également mis en évidence la façon dont le contenu sur les réseaux sociaux sur des thèmes tels que les origines ethniques et l’immigration peut contribuer à la violence hors ligne. La publication allemande généralise intentionnellement les immigrants en les présentant comme des prédateurs sexuels, une affirmation qui, répétée à maintes reprises, suscite la peur et la haine, jetant ainsi les bases d’une incitation à la discrimination et à la violence à l’encontre de ce groupe.

Les utilisateurs dans ces deux cas auraient pu contribuer au débat politique sans utiliser d’insultes raciales ni s’engager dans des généralisations dégradantes si Meta les avait avertis des raisons pour lesquelles leurs publications étaient potentiellement contraires à la politique de l’entreprise. Il est important que les notifications de suppression de contenu soient précises, mais Meta devrait également envisager d’utiliser davantage de rappels pour inviter les utilisateurs à revoir, avant leur publication, les propos susceptibles d’enfreindre les politiques de l’entreprise. Dans le cas des Manifestations pro-Navalny en Russie, le Conseil avait recommandé à Meta d’informer les utilisateurs de la raison pour laquelle leur contenu était en infraction, afin qu’ils puissent le republier sans la partie incriminée. À la suite de cette recommandation, Meta a mis en place des notifications à l’intention des utilisateurs pour les avertir que leurs publications pourraient constituer une infraction, leur donnant ainsi la possibilité de supprimer et de republier leur contenu avant que la politique ne soit mise en application. Meta a indiqué que, sur une période de 12 semaines en 2023, les utilisateurs ont choisi de supprimer leur publication dans plus de 20 % des cas, ce qui a permis de réduire le nombre de contenus en infraction grâce à des mesures correctives autonomes.

La majorité des membres du Conseil soulignent qu’en aboutissant à ses décisions concernant les deux publications, les normes relatives à la modération du contenu par une société de réseaux sociaux ne devraient pas être comparées aussi directement aux normes limitant l’application du droit punitif par les États. Meta ne mène pas une enquête détaillée après coup pour déterminer si un crime a été commis, mais agit en temps réel sur la base d’informations incomplètes. Si Meta devait attendre que la violence ou la discrimination soit imminente avant d’agir, il serait trop tard pour prévenir les dommages conformément aux responsabilités qui lui incombent en vertu des principes directeurs des PDNU. La difficulté d’évaluer les répercussions de chaque contenu à grande échelle et la nature imprévisible de la viralité en ligne justifient la prudence de Meta en matière de modération.

La majorité des membres du Conseil rappelle que Meta, en tant qu’acteur privé, peut supprimer les discours haineux qui n’atteignent pas le seuil d’incitation à la discrimination ou à la violence imminente, lorsque cela répond aux exigences de nécessité et de proportionnalité de l’article 19(3) du PIDCP (voir Insultes en Afrique du Sud). Si Meta autorise tous les discours haineux qui ne relèvent pas de l’incitation décrite dans l’article 20 du PIDCP, les plateformes de Meta deviendraient un lieu intolérable pour les minorités et les groupes marginalisés, qui ne pourraient pas s’y exprimer en toute sécurité. Dans les cas présents, cela pourrait inciter non seulement les migrants, mais aussi toute personne qui n’est pas blanche, à se retirer du discours public, avec un effet dissuasif qui diminue la valeur du pluralisme et de l’accès à l’information pour tout le monde. Par conséquent, l’approche de Meta en matière de modération de contenu doit tenir compte des effets sur les droits humains des contenus haineux qui s’accumulent sur ses plateformes, même si, de manière isolée, ces messages n’incitent pas à une violence ou à une discrimination imminente (voir Représentation de Zwarte Piet, Violences communautaires dans l’État indien de l’Odisha, Arméniens d’Azerbaïdjan et Dessin animé de Knin).

La majorité des membres du Conseil soulignent que des interventions moins invasives, telles que des étiquettes, des écrans d’avertissement ou d’autres mesures visant à réduire la diffusion, ne fourniraient pas une protection adéquate contre les effets cumulatifs du maintien d’un contenu de cette nature sur la plateforme (voir Représentation de Zwarte Piet et Dessin animé de Knin).

Une minorité des membres du Conseil estiment que la suppression des publications polonaise et allemande n’est ni nécessaire ni proportionnée. Ils indiquent que les deux publications peuvent être offensantes, mais qu’aucune des deux n’atteint le seuil d’incitation à des actes imminents de violence, de discrimination ou d’hostilité. Pour ces membres, le concept de préjudices cumulés ne repose pas sur les principes découlant des normes internationales en matière de liberté d’expression. Au contraire, il est si souple qu’il s’écarte des exigences de causalité de base, privant de toute substance l’évaluation de la nécessité et de la proportionnalité. Par rapport à une application stricte du Plan d’action de Rabat pour évaluer la nécessité et la proportionnalité du retrait de contenu en fonction de la probabilité d’un préjudice imminent, le concept de préjudice cumulé abandonne en fait ce facteur clé. En ce qui concerne ces publications, il est important de noter qu’aucune d’entre elles n’appelait à une action autre que la participation à une élection et/ou à une discussion sur des questions d’intérêt public relatives à l’immigration. Il est essentiel que les utilisateurs puissent exprimer leurs opinions sur les questions politiques les plus préoccupantes auxquelles leur pays est confronté, y compris l’immigration. La minorité des membres du Conseil notent qu’un large éventail d’outils de modération de contenu est disponible pour Meta en dehors du choix binaire « conserver/retirer », avec des moyens moins intrusifs que les suppressions pour atténuer les préjudices potentiels. Face au choix binaire conserver/retirer, une minorité des membres du Conseil accorderaient plus de poids à l’importance pour l’électorat d’avoir un accès complet aux opinions des candidats et des partis politiques dans le contexte d’une élection, et aux risques accrus pour l’expression que la censure privée peut avoir sur les processus démocratiques. Les perceptions d’injustice et de partialité dans la modération des opinions politiques menacent plus largement la légitimité de la gouvernance des plateformes. Meta devrait s’inspirer du Plan de Rabat, qui met également l’accent sur des mesures politiques positives, pour envisager des moyens moins intrusifs que la censure afin de s’assurer d’éviter les préjudices potentiels.

Accès au recours

Les utilisateurs qui ont signalé ces publications n’ont pas été informés que ces signalements (ou appels) n’étaient pas prioritaires pour l’examen. Le Conseil réitère les préoccupations exprimées précédemment (voir Images explicites générées par l’IA de personnalités publiques féminines) selon lesquelles les utilisateurs peuvent ne pas savoir que leur signalement ou leur appel n’a pas été examiné en priorité. Étant donné que Meta a annoncé le 7 janvier son intention de concentrer ses systèmes automatisés sur les « infractions illégales et graves » et de s’appuyer davantage sur les signalements des utilisateurs pour les infractions « moins graves », les demandes d’examen des signalements d’utilisateurs risquent d’augmenter. Il sera essentiel que Meta soit en mesure de définir avec précision les priorités et d’examiner réellement la totalité des signalements qu’elle reçoit, afin que ses politiques soient appliquées de manière juste. Lorsque les signalements d’utilisateurs ne sont pas examinés en priorité, les utilisateurs doivent être informés qu’aucun examen n’a eu lieu.

Diligence raisonnable en matière de droits humains

Les principes 13, 17 (c) et 18 des PDNU exigent de Meta qu’elle fasse preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains lorsqu’elle apporte des modifications significatives à ses politiques et à leur application. Pour ce faire, l’entreprise fait généralement appel à son forum de politique des produits, qui implique notamment les parties prenantes concernées. Le Conseil est préoccupé par le fait que les modifications de la politique et de sa mise en application, réalisées par Meta le 7 janvier 2025, ont été annoncées à la hâte, dérogeant à la procédure habituelle, sans qu’aucune information publique n’ait été diffusée quant à l’éventuelle diligence raisonnable en matière de droits humains dont Meta a fait preuve au préalable.

Vu que ces modifications sont désormais déployées au niveau international, il est crucial que Meta veille à identifier, à atténuer et à prévenir les répercussions négatives de ces modifications sur les droits humains, sans oublier de les signaler publiquement. À cet égard, Meta devrait notamment se concentrer sur les conséquences différentes pour les groupes, dont les immigrés, les réfugiés et les demandeurs d’asile. En ce qui concerne les changements en matière de mise en application, la diligence raisonnable doit également tenir compte de deux éventualités : l’application excessive (Appel à la manifestation des femmes à Cuba, Réappropriation de mots arabes) et l’application insuffisante (Négationnisme, Violence homophobe en Afrique de l’Ouest, Publication en polonais ciblant les personnes trans) des règles.

6. La décision du Conseil de surveillance

Le Conseil de surveillance rejette la décision de Meta de conserver le contenu dans les deux cas.

7. Recommandations

Politique de contenu

1. Dans le cadre de sa diligence raisonnable en matière de droits humains, Meta devrait prendre toutes les mesures suivantes en ce qui concerne les mises à jour du 7 janvier 2025 du Standard de la communauté en matière de conduite haineuse. Premièrement, elle devrait identifier la manière dont les mises à jour et la mise en application de la politique peuvent avoir des répercussions négatives sur les droits des immigrants, en particulier les réfugiés et les demandeurs d’asile, en mettant l’accent sur les marchés où ces populations sont exposées à un risque accru. Deuxièmement, Meta devrait prendre des mesures pour prévenir et/ou limiter ces risques et contrôler leur efficacité. Troisièmement, Meta devrait faire état de ses progrès et enseignements auprès du Conseil tous les six mois et rédiger des rapports publics à ce sujet le plus tôt possible.

Le Conseil estimera que cette recommandation aura été suivie quand Meta lui fournira des données et une analyse solides sur l’efficacité de ses mesures de prévention ou d’atténuation selon la fréquence décrite ci-dessus et lorsqu’elle en rendra compte publiquement.

Mise en application

2. Meta devrait ajouter le terme « murzyn » à sa liste d’injures pour le marché polonais.

Le Conseil estimera que cette recommandation aura été suivie lorsque Meta aura informé le Conseil de sa mise en œuvre.

3. Lorsque Meta révise ses listes d’insultes, elle doit veiller à procéder à un large engagement externe des parties prenantes concernées. Cette démarche devrait inclure la consultation des groupes concernés et de la société civile.

Le Conseil estimera que cette recommandation aura été suivie lorsque Meta aura modifié son explication de la manière dont elle révise et met à jour ses listes d’insultes spécifiques aux marchés dans l’Espace modération.

4. Pour réduire les cas de contenu en infraction de sa politique en matière de conduite haineuse, Meta devrait mettre à jour ses directives internes, afin de rendre plus clair le fait que les attaques de Niveau 1 (y compris celles qui sont fondées sur le statut d’immigration) sont interdites, sauf si le contenu fait clairement référence à une partie définie du groupe, représentant moins de la moitié de ce groupe. Cela inverserait la présomption actuelle selon laquelle le contenu fait référence à une minorité, sauf s’il mentionne le contraire.

Le Conseil considérera que cette recommandation a été suivie lorsque Meta lui communiquera ses directives internes mises à jour.

*Note de procédure :

  • Les décisions du Conseil de surveillance sont prises par des panels de cinq membres et approuvées par une majorité du Conseil dans son ensemble. Les décisions du Conseil ne représentent pas nécessairement les opinions de tous les membres.
  • En vertu de sa Charte, le Conseil de surveillance est habilité à examiner les appels déposés par les utilisateurs dont le contenu a été supprimé par Meta, les appels déposés par les utilisateurs ayant signalé un contenu que Meta n’a finalement pas supprimé, et les décisions que Meta lui transmet (article 2, section 1 de la Charte). Le Conseil dispose d’une autorité contraignante pour confirmer ou annuler les décisions de Meta relatives au contenu (article 3, section 5 de la Charte ; article 4 de la Charte). Le Conseil est habilité à émettre des recommandations non contraignantes auxquelles Meta doit répondre (article 3, section 4 de la Charte ; et article 4 de la Charte). Lorsque Meta s’engage à donner suite aux recommandations, le Conseil surveille leur mise en œuvre.
  • Pour la décision sur ce cas, des recherches indépendantes ont été commandées au nom du Conseil. Le Conseil a bénéficié de l’aide de Duco Advisors, une société de conseil spécialisée dans la géopolitique, la confiance et la sécurité, ainsi que la technologie. L’entreprise Lionbridge Technologies, LLC, dont les spécialistes parlent couramment 350 langues et travaillent dans 5000 villes du monde entier, a fourni son expertise linguistique.

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