Le Conseil de surveillance confirme la suspension de l’ancien président Trump mais estime que la sanction de Facebook n’était pas opportune.

Le Conseil a confirmé la décision de Facebook du 7 janvier 2021 visant à limiter l’accès du président Donald Trump à la publication de contenu sur sa Page Facebook et son compte Instagram.

Il n’était toutefois pas opportun pour Facebook d’imposer une suspension sine die, une sanction réputée indéterminée et arbitraire. Les sanctions ordinaires de Facebook prévoient notamment la suppression du contenu en infraction, l’imposition d’une période de suspension assortie de délais précis, ou encore la désactivation permanente d’une Page ou d’un compte.

Le Conseil exhorte Facebook à examiner ce cas afin d’élaborer et de justifier une réponse proportionnée et conforme aux règles appliquées aux autres utilisateurs et utilisatrices de la plate-forme. Cette dernière est tenue de terminer son examen dans les six mois suivant la date de publication de la présente décision. Le Conseil a également formulé des recommandations à mettre en œuvre par Facebook pour élaborer des politiques claires, nécessaires et proportionnées qui favorisent la sécurité publique et respectent la liberté d’expression.

À propos du cas

Les élections jouent un rôle capital dans toute démocratie. Le 6 janvier 2021, alors que le dépouillement des votes du collège électoral de 2020 était toujours en cours, une foule a pris d’assaut le bâtiment du Capitole de Washington, D.C. Ces émeutes ont menacé la poursuite du processus constitutionnel. Cinq personnes ont perdu la vie et bien d’autres ont été blessées. Lors de ces évènements, le président Donald Trump a publié deux types de contenu.

À 16:21 EST, alors que l’insurrection battait son plein, Donald Trump a publié une vidéo sur Facebook et Instagram :

Je comprends votre douleur. Je sais que vous êtes blessés. Cette élection nous a été volée. C’était une victoire écrasante et tout le monde le sait, en particulier l’autre camp, mais vous devez rentrer chez vous maintenant. Nous avons besoin de paix. Nous avons besoin d’ordre et de sécurité. Nous devons respecter les personnes formidables au sein des forces de l’ordre. Nous ne voulons pas qu’il y ait de blessés. C’est une période très difficile. C’est la première fois qu’une telle chose se passe, qu’ils nous volent tous : moi, vous, notre pays. C’était une élection frauduleuse, mais nous ne devons pas faire le jeu de ces gens. Nous avons besoin de paix. Alors rentrez chez vous. Nous vous aimons. Vous êtes spéciaux. Vous avez vu ce qu’il se passe. Vous avez vu la manière dont d’autres sont traités. Je sais ce que vous ressentez. Mais rentrez chez vous et rentrez en paix.

À 17:41 EST, Facebook a supprimé cette publication pour avoir enfreint son Standard de la communauté sur les individus et organismes dangereux.

À 18:07 EST, alors que la police sécurisait le Capitole, Donald Trump a publié une déclaration écrite sur Facebook :

Voilà les choses et les évènements qui se produisent lorsqu’une élection sacrée, marquée par une victoire écrasante, est brusquement et cruellement arrachée à de bons patriotes qui ont été, à tort, injustement traités pendant si longtemps. Rentrez chez vous en paix. Gardez bien ce jour en mémoire !

À 18:15 EST, Facebook a supprimé cette publication pour avoir enfreint son Standard de la communauté sur les individus et organismes dangereux. L’entreprise a également bloqué la fonction de publication de Donald Trump sur Facebook et Instagram pendant 24 heures.

Le 7 janvier, après un examen approfondi des publications de Donald Trump, de ses récentes communications en dehors de Facebook et des compléments d’information sur la gravité de la violence perpétrée au Capitole, Facebook a étendu la suspension « jusqu’à nouvel ordre et pour au moins les deux prochaines semaines jusqu’à ce que la transition pacifique du pouvoir soit terminée ».

Le 20 janvier, lors de l’investiture du président Joe Biden, Donald Trump a cessé d’être le président des États-Unis.

Le 21 janvier, Facebook a annoncé avoir porté ce cas devant le Conseil. L’entreprise a demandé si sa décision du 7 janvier visant à interdire l’accès de Donald Trump à la publication de contenu sur Facebook et Instagram pour une durée indéterminée était opportune. L’entreprise a également sollicité des recommandations sur les suspensions à suivre lorsque l’utilisateur ou l’utilisatrice concerné·e est un·e dirigeant·e politique.

Outre les deux publications effectuées le 6 janvier, Facebook avait déjà constaté cinq autres infractions de ses Standards de la communauté dans du contenu organique publié sur la Page Facebook Donald J. Trump, dont trois datant de l’année dernière. Si les cinq publications en infraction avaient été supprimées, aucune sanction n’avait été prise au niveau du compte.

Principales observations

Le Conseil a estimé que les deux publications de Donald Trump du 6 janvier enfreignaient gravement les Standards de la communauté Facebook et les Règles de la communauté Instagram. Les termes « Nous vous aimons. Vous êtes spéciaux. » de la première publication ainsi que les termes « grands patriotes » et « Gardez bien ce jour en mémoire ! » de la seconde publication enfreignent les règles de Facebook interdisant de louer ou de soutenir les personnes engagées dans des actes de violence.

Le Conseil a constaté qu’en entretenant un récit infondé de fraude électorale ainsi que des appels à l’action constants, Donald Trump avait créé un environnement dans lequel un risque sérieux de violence était possible. Au moment de la publication des messages de Donald Trump, il existait un risque clair et immédiat de préjudice et ses mots de soutien aux personnes impliquées dans les émeutes ont légitimé leurs actes de violence. En tant que président, Donald Trump exerçait une forte influence. La portée de ses publications était importante, avec 35 millions d’abonnés sur Facebook et 24 millions sur Instagram.

Compte tenu de la gravité des infractions et du risque continu de violence, la décision de Facebook visant à suspendre le compte de Donald Trump le 6 janvier et à étendre cette suspension le 7 janvier était justifiée.

Il n’était toutefois pas opportun pour Facebook d’imposer une suspension « sine die ».

Facebook n’est pas autorisé à suspendre un utilisateur ou une utilisatrice de la plate-forme pour une durée indéterminée, sans indiquer si et quand le compte sera restauré.

En infligeant cette sanction, Facebook n’a pas respecté la procédure claire publiée. Les suspensions « sine die » ne sont pas décrites dans les règles de l’entreprise relatives au contenu. Les sanctions ordinaires de Facebook prévoient notamment la suppression du contenu en infraction, l’imposition d’une période de suspension assortie de délais précis, ou encore la désactivation permanente d’une Page ou d’un compte.

Il appartient à Facebook d’établir des sanctions nécessaires et proportionnées pour répondre aux infractions graves de ses règles relatives au contenu. Le rôle du Conseil vise à s’assurer que les règles et les procédés de Facebook sont conformes à ses règles relatives au contenu, à ses valeurs et à ses engagements en faveur des droits humains.

En prenant une sanction vague et arbitraire, puis en renvoyant ce cas pour résolution au Conseil, Facebook cherche à fuir ses responsabilités. Le Conseil rejette la demande de Facebook et l’exhorte à appliquer et justifier une sanction déterminée.

La décision du Conseil de surveillance

Le Conseil de surveillance a confirmé la décision de Facebook du 7 janvier 2021 visant à suspendre l’accès de Donald Trump à la publication de contenu sur Facebook et Instagram. L’entreprise est toutefois tenue de réexaminer cette sanction, car elle a suspendu le compte de Donald Trump « indéfiniment ».

Facebook doit reconsidérer la décision arbitraire imposée le 7 janvier dernier et décider d’une sanction appropriée dans les six mois suivant la publication de la présente décision. La sanction doit être fondée sur la gravité de l’infraction et l’éventualité d’un préjudice futur. Elle doit également être conforme aux règles de Facebook en matière d’infractions graves, lesquelles doivent à leur tour être claires, nécessaires et proportionnées.

Si Facebook décide de restaurer les comptes de Donald Trump, l’entreprise est tenue d’appliquer ces règles à la décision, en ce compris les modifications apportées à la suite des recommandations de politique du Conseil effectuées ci-après. Dans ce contexte, Facebook doit traiter toute autre infraction dans les plus brefs délais et conformément à ses règles établies en matière de contenu.

Une minorité des membres du Conseil a souligné que Facebook devait prendre des mesures pour éviter la répétition de répercussions négatives sur les droits humains et s’assurer que les utilisateurs et utilisatrices demandant leur réintégration après une suspension reconnaissent leurs erreurs et s’engagent à respecter les règles à l’avenir.

Lors du renvoi de ce cas devant le Conseil, Facebook a spécifiquement demandé au Conseil des « observations ou des recommandations sur les suspensions à suivre lorsque l’utilisateur ou l’utilisatrice concerné·e est un·e dirigeant·e politique ».

Dans un avis consultatif sur les politiques, le Conseil a formulé plusieurs recommandations destinées à guider les politiques de Facebook en matière de risques sérieux de préjudice posés par les dirigeant·es politiques et d’autres personnalités influentes.

Le Conseil a indiqué qu’il n’était pas toujours utile d’opérer une nette distinction entre les dirigeant·es politiques et les autres utilisateurs et utilisatrices influent·es, considérant que les autres utilisateurs disposant de vastes audiences peuvent également contribuer à des risques sérieux de préjudice.

Si les mêmes règles doivent être appliquées à tous les utilisateurs et utilisatrices, le contexte revêt une grande importance dans l’évaluation de la probabilité et de l’imminence du préjudice. Lorsque les publications de comptes influents impliquent une forte probabilité de préjudice imminent, Facebook doit agir rapidement pour faire appliquer ses règles. Bien que Facebook ait expliqué ne pas avoir suivi « d’intérêt médiatique » en l’espèce, le Conseil a invité la plate-forme à dissiper les confusions généralisées sur la manière dont les décisions relatives aux comptes influents sont prises. Le Conseil a souligné que les considérations d’intérêt médiatique ne devaient pas prévaloir lorsqu’une action urgente est requise pour prévenir un préjudice majeur.

Facebook doit détailler publiquement les règles utilisées lors de l’imposition de sanctions aux comptes influents. Ces règles visent à garantir que Facebook vérifie que le risque de préjudice a diminué avant la fin de la période définie lorsqu’elle impose une suspension limitée dans le temps du compte d’un utilisateur ou d’une utilisatrice influent·e pour réduire le risque de préjudice majeur. Si Facebook établit que l’utilisateur ou l’utilisatrice présente un risque sérieux d’incitation à des actes de violence imminents, à la discrimination ou à toute autre action illégale à ce moment-là, une autre suspension, elle aussi limitée dans le temps, devra être infligée si ces mesures sont nécessaires pour favoriser la sécurité publique et proportionnées par rapport au risque.

Le Conseil souligne que les chef·fes d’État et les haut·es représentant·es de gouvernement sont davantage susceptibles de causer des préjudices que d’autres personnes. Si un chef d’État ou un·e haut·e représentant·e gouvernemental·e a publié à maintes reprises des messages présentant un risque de préjudice en vertu des normes internationales des droits humains, Facebook doit suspendre le compte concerné durant une période suffisante à la protection contre ce préjudice imminent. Les périodes de suspension doivent être suffisamment longues pour décourager les comportements répréhensibles et peuvent, le cas échéant, inclure la suppression du compte ou de la Page.

Dans le cadre d’autres recommandations, le Conseil propose que Facebook :

  • Signale rapidement le contenu contenant des discours politiques d’utilisateurs et utilisatrices extrêmement influent·es à des membres du personnel spécialisés qui connaissent bien le contexte linguistique et politique. Ce personnel doit être tenu à l’écart de toute interférence politique, économique et indue.
  • Alloue des ressources et une expertise adéquates à l’évaluation des risques de préjudice que présentent les comptes influents à l’échelle mondiale.
  • Informe davantage les utilisateurs et utilisatrices afin de les aider à comprendre et évaluer les procédés et critères d’application de l’intérêt médiatique, en ce compris la manière dont il est appliqué aux comptes influents. L’entreprise doit également expliquer clairement les motifs, les standards et les procédés de l’examen par vérification croisée, sans oublier de signaler les taux d’erreur relatifs des décisions effectuées sur la base de la vérification croisée par rapport aux procédures de mise en application ordinaires.
  • Entreprenne un examen approfondi de l’éventuelle contribution de Facebook au récit de fraude électorale et aux tensions exacerbées qui ont débouché sur les scènes de violence aux États-Unis le 6 janvier. Il doit s’agir d’une réflexion ouverte sur les choix de conception et de politique opérés par Facebook qui pourraient permettre l’utilisation abusive de sa plate-forme.
  • Précise clairement, dans sa politique d’entreprise sur les droits humains, la manière dont elle recueille, protège et, le cas échant, partage les informations afin de faciliter les enquêtes et les poursuites éventuelles concernant des infractions graves du droit pénal international, des droits humains et du droit humanitaire.
  • Explique sa procédure de sanction et de suspension en matière de limitation de profils, de Pages, de groupes et de comptes dans les Standards de la communauté Facebook et les Règles de la communauté Instagram.
  • Inclue le nombre de limitations de profils, de Pages et de comptes dans ses rapports de transparence, avec des informations ventilées par région et par pays.
  • Fournisse aux utilisateurs et aux utilisatrices des informations accessibles sur le nombre d’infractions, de suspensions et de sanctions qui leur ont été infligées, ainsi que sur les conséquences qui découleront de futures infractions.
  • Développe et publie une politique régissant la réponse de Facebook face aux crises ou aux situations nouvelles lorsque ses procédures habituelles ne permettent pas de prévenir ou d’empêcher un préjudice imminent. Ces directives visent à définir des paramètres appropriés pour ces actions, en ce compris l’obligation de revoir sa décision dans un délai fixé.

Pour en savoir plus :

Pour lire l’intégralité de la décision sur le cas (cas 2021-001-FB-FBR), cliquez ici.

Pour lire un résumé des commentaires publics relatifs à ce cas, cliquez ici.

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