Le Conseil de surveillance annule la décision du Meta dans le cas de la vidéo du commissariat de police haïtien

Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Meta de retirer une vidéo de Facebook montrant des personnes faire irruption dans un commissariat de police en Haïti, tentant de s’introduire dans une cellule où se trouve un membre présumé d’un gang et les menaçant de violence. Le Conseil considère que la vidéo a enfreint la politique de l’entreprise sur la violence et l’incitation. Toutefois, la majorité du Conseil ne partage pas l’avis de Meta dans le cadre de son évaluation pour savoir s’il convient d’appliquer une tolérance d’intérêt médiatique dans le cas présent. Pour la majorité, Meta ayant tardé pendant près de trois semaines à supprimer le contenu, le risque de préjudice hors ligne avait suffisamment diminué pour qu’une tolérance d’intérêt médiatique soit appliquée. Le Conseil recommande par ailleurs à Meta d’évaluer l’efficacité et la rapidité de ses réponses face au contenu remonté par le biais du programme de partenaires de confiance.

À propos du cas

En mai 2023, un·e utilisateur de Facebook a publié une vidéo montrant des personnes habillées en civils faire irruption dans un commissariat de police pour essayer de pénétrer dans la cellule d’un homme qui, selon Meta, est suspecté d’appartenir à un gang, et crier « we’re going to break the lock » (nous allons briser la serrure) et « they’re already dead » (c’est un homme mort). À la fin de la vidéo, une personne hurle « bwa kale na boudaw », que Meta a interprété comme un appel au groupe présent « to take action against the person ‘‘bwa kale style’’ » (à traiter cette personne « à la manière bwa kale », c’est-à-dire à la lyncher). D’après Meta, « bwa kale » fait référence au mouvement civique haïtien dans le cadre duquel la population se fait justice elle-même. La vidéo est accompagnée d’une légende en créole haïtien affirmant « the police cannot do anything » (la police ne peut rien faire). La publication a été vue plus de 500 000 fois et la vidéo environ 200 000 fois.

Haïti est confronté à une insécurité sans précédent, avec des gangs qui ont pris le contrôle de certains territoires et terrorisent la population. La police étant incapable de résoudre cette violence et, dans certains cas, présumée complice, un mouvement est apparu et a entraîné le « lynchage de plus de 350 personnes par la population locale et des groupes d’autodéfense » sur une période de quatre mois cette année, selon le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains. En signe de représailles, les gangs s’en sont pris aux personnes qu’ils soupçonnent d’appartenir à ce mouvement ou de le soutenir.

Un partenaire de confiance a signalé la vidéo à Meta comme étant potentiellement en infraction de sa politique 11 jours après sa publication, en l’avertissant que le contenu pourrait inciter à une violence accrue. Le programme Partenaires de confiance de Meta représente un réseau d’organisations non gouvernementales, d’agences humanitaires et d’équipes de recherche sur les droits humains de 113 pays. Meta a indiqué au Conseil que « plus le niveau de risque [de violence dans un pays] est élevé, plus la priorité de développer des relations avec les Partenaires de confiance est essentielle », car ils peuvent signaler du contenu à l’entreprise. Environ huit jour après le signalement du partenaire de confiance dans ce cas, Meta a jugé que la vidéo comportait à la fois une déclaration d’intention de commettre des actes de violence et un appel à se livrer à une violence de haute gravité, et a fini par supprimer le contenu de Facebook. Meta a évoqué ce cas auprès du Conseil afin de résoudre les questions de modération complexes que soulève le contenu lié au mouvement « Bwa Kale » en Haïti. Elle n’a pas appliqué la tolérance d’intérêt médiatique, car elle a estimé que le risque de préjudice était élevé et l’emportait sur la valeur d’intérêt public de la publication, en faisant remarquer le cycle sans fin de représailles violentes et de meurtres en Haïti.

Principales observations

Le Conseil observe que le contenu a enfreint le Standard de la communauté de Facebook en matière de violence et d’incitation, car une menace crédible de préjudice hors ligne est exprimée à l’encontre de la personne détenue ainsi que d’autres personnes. La majorité du Conseil ne partage cependant pas l’avis de Meta concernant l’application de la tolérance d’intérêt médiatique dans le cas présent. Compte tenu du retard de près de trois semaines entre la publication et la mise en application, Meta aurait dû appliqué la tolérance d’intérêt médiatique afin de conserver le contenu, sachant que le Conseil en a conclu que le risque de préjudice et l’intérêt public induits lors d’une analyse d’intérêt médiatique devraient être évalués au moment où Meta envisage d’appliquer une tolérance, plutôt que lorsque le contenu est publié. Le Conseil estime que Meta devrait mettre à jour ses énoncés sur la tolérance d’intérêt médiatique afin que les utilisateurs la comprennent mieux.

Pour la majorité des membres du Conseil, Meta ayant tardé près de trois semaines à supprimer le contenu, le risque de préjudice hors ligne avait suffisamment diminué pour qu’une tolérance d’intérêt médiatique soit appliquée. Ce groupe a pris en considération le contexte en Haïti, l’étendue et la portée de la publication, ainsi que la probabilité que des préjudices soient causés en raison du retard de la mise en application. Au moment où la vidéo avait déjà été vue 200 000 fois, les risques induits par le contenu s’étaient déjà concrétisés. Par ailleurs, face à une situation de violence généralisée continue et de trouble à l’ordre public, le partage d’informations devient encore plus important pour que les communautés réagissent aux évènements. Cette vidéo permet en effet d’informer les utilisateurs en Haïti et à l’étranger sur ce qu’il se passe réellement dans le pays.

Cependant, une minorité des membres du Conseil estime que Meta a fait preuve de bon sens en n’appliquant pas la tolérance. Compte tenu de la situation de risques accrus au moment de la publication de la vidéo, la probabilité qu’elle entraîne de nouveaux actes de représailles était toujours d’actualité lorsque Meta a examiné le contenu. Ces membres du Conseil estiment que la suppression est nécessaire en vue d’endiguer ces risques.

Le Conseil émet des inquiétudes quant à la capacité de Meta à modérer le contenu en Haïti en temps opportun en cette période de risques accrus. Le retard constaté dans ce cas semble attribuable à l’absence d’investissements de l’entreprise dans des ressources adaptées pour modérer le contenu diffusé en Haïti. Meta n’a pas été en mesure de mener une évaluation opportune du signalement émis par son partenaire de confiance. Les signalements des partenaires de confiance constituent l’un des outils que Meta utilise en Haïti afin d’identifier des contenus potentiellement en infraction. D’après les conclusions d’un récent signalement d’un partenaire de confiance, Meta n’attribue pas de ressources suffisantes à ses équipes d’examen des contenus signalés par les partenaires de confiance et les délais de réponse font l’objet d’irrégularités flagrantes.

Enfin, le Conseil remarque que Meta n’a pas appliqué son Protocole de politique de crise en Haïti. Bien que Meta lui ait indiqué qu’elle appliquait déjà des mesures d’atténuation des risques, le Conseil craint que le long retard dans le cas présent ne démontre l’inadaptation des mesures actuelles. Si l’entreprise ne parvient pas à adopter ce protocole dans ce type des situations, sa modération des contenus ne sera pas opportune et ne reposera sur aucun principe, ce qui nuira à la capacité de l’entreprise et des personnes à évaluer l’efficacité du protocole dans l’observation de ses objectifs.

La décision du Conseil de surveillance

Le Conseil de surveillance a annulé la décision de Meta visant à supprimer ce contenu et demande que la publication soit restaurée.

Le Conseil recommande à Meta de :

  • Évaluer la rapidité et l’efficacité de ses réponses lorsqu’un contenu fait l’objet d’une remontée dans le cadre du programme de partenaires de confiance, afin de traiter les risques de préjudice, notamment dans des situations où Meta ne dispose d’aucun outil, processus ou mesure de modération proactifs, ou que ceux-ci sont limités, pour identifier et évaluer un contenu.
  • Le Conseil en profite également pour rappeler à Meta une précédente recommandation, émise pour le cas Poème russe, qui appelle l’entreprise à rendre publique une exception de sa politique sur la violence et l’incitation. Ladite exception autorise le contenu qui « condamne ou sensibilise à la violence ». Meta demande cependant à l’utilisateur de préciser s’il publie le contenu pour l’une ou l’autre de ces raisons.

Pour en savoir plus

Pour lire l’intégralité de la décision, cliquez ici.

Pour lire un résumé des commentaires publics relatifs à ce cas, cliquez ici.

Retour Aux Actualités