Renversé

Poème sur les manifestations politiques en Argentine

Le Conseil de surveillance a émis des préoccupations concernant l’application excessive répétée des politiques due aux pratiques de Meta impliquant les carrousels d’Instagram.

Type de décision

Standard

Politiques et sujets

Sujet
Art / Écriture / Poésie, LGBT, Manifestations
Norme communautaire
Discours incitant à la haine

Régions/Pays

Emplacement
Argentine

Plate-forme

Plate-forme
Instagram

Résumé

Le Conseil de surveillance a émis des préoccupations concernant l’application excessive répétée des politiques due aux pratiques de Meta impliquant les carrousels d’Instagram. Dans ce cas de discours politique critiquant le gouvernement argentin et les effets sociaux de ses politiques, une partie d’un carrousel de plusieurs images contenant du texte et formant un poème politique a été supprimée à tort par Meta. Une seule des images, contenant des insultes, avait été évaluée par des modérateurs. Le contexte essentiel à la compréhension était donc manquant.

Pour que le contexte complet puisse être pris en compte, le Conseil recommande à Meta de veiller à ce que les modérateurs qui évaluent les carrousels aient accès à tout le contenu d’une publication carrousel avant de prendre une décision. Le Conseil a annulé la décision initiale de Meta de supprimer le contenu.

À propos du cas

En janvier 2025, quelques jours avant les manifestations contre le président argentin Javier Milei qui avait tenu un discours critiquant le « féminisme radical » et les « objectifs LGBT », un utilisateur d’Instagram a publié un carrousel contenant uniquement des images reprenant du texte. Les mots des huit images forment un poème très critique envers le gouvernement argentin et envers le manque de réaction des citoyens lors d’une période pendant laquelle, selon l’utilisateur, les changements de politique ont des répercussions sur les groupes vulnérables. Le poème appelle les lecteurs à la manifestation.

Sur la deuxième image du carrousel, le texte reprend deux insultes, « puto » et « trava », utilisées respectivement pour parler des hommes homosexuels et des femmes trans. Le lendemain de la publication du carrousel, les systèmes automatisés de Meta ont détecté la deuxième image et l’ont envoyée à un modérateur, qui a estimé que l’image enfreignait les règles en matière de conduite haineuse. Le modérateur n’a pas eu accès aux sept autres images du carrousel. Seule la deuxième image a été supprimée d’Instagram et le compte de l’utilisateur a été pénalisé. L’utilisateur a fait appel auprès de Meta. Un second membre de l’équipe d’examen a confirmé la décision. L’utilisateur a alors fait appel auprès du Conseil.

Lorsque le Conseil a sélectionné le cas, Meta est revenue sur sa décision d’origine et a restauré la deuxième image dans le carrousel.

Principales conclusions

Le Conseil a estimé que le contenu n’enfreignait pas la politique relative à la conduite haineuse, car il relevait des exceptions dans le cadre desquelles utiliser des insultes est autorisé pour condamner ou sensibiliser, ou pour reprendre le contrôle. La décision finale de Meta de restaurer le contenu était fondée sur l’interprétation selon laquelle le texte condamne le gouvernement de Javier Milei en reprenant des termes souvent utilisés dans des propos anti-LGBTQIA+. Cette interprétation correspond à la manière dont le Conseil avait déjà indiqué à Meta d’évaluer le contenu et d’appliquer les exceptions à ses politiques. Le Conseil souligne toutefois un autre point essentiel : la publication condamne l’indifférence des citoyens face aux changements sociaux, politiques et économiques qui, selon l’utilisateur, ont des répercussions négatives sur certains groupes vulnérables.

Les insultes utilisées dans la publication ne visaient pas négativement un individu ou un groupe en particulier, mais avaient pour but de critiquer les politiques du gouvernement argentin. Ces termes ont été utilisés pour lutter contre l’indifférence sociale face aux mesures du gouvernement qui ont des répercussions sur certains groupes, notamment les personnes LGBTQIA+. À l’approche des élections d’octobre 2025 en Argentine, Meta doit veiller à ce que les discours politiques, y compris les discours récupérés, ne soient pas supprimés inutilement.

Le Conseil indique que dans ce cas, il était quasiment impossible pour l’examinateur d’affirmer que les insultes étaient utilisées d’une manière autorisée sans avoir accès au carrousel complet d’images de texte formant le poème. Le Conseil est préoccupé quant à la possibilité d’application excessive répétée des politiques découlant du fait que les examinateurs n’ont pas accès au carrousel complet lors qu’ils décident d’appliquer une règle pour une image spécifique issue d’un carrousel, comme cela s’est produit dans ce cas, et quant au fait que les examinateurs ne puissent donc pas évaluer efficacement l’intention d’une publication. La liberté d’expression des utilisateurs peut être mise à mal si certains contenus sont supprimés des carrousels développant un propos en plusieurs images.

Décision du Conseil de surveillance

Le Conseil annule la décision initiale de Meta de supprimer le contenu.

Le Conseil recommande à Meta ce qui suit :

  • Veiller à ce que les modérateurs qui examinent du contenu issu d’un carrousel puissent voir l’ensemble du contenu de la publication avant de prendre une décision, même si une seule image a été envoyée pour l’examen manuel.
  • Mettre au point une procédure intégrée permettant d’assurer que lorsqu’un type de contenu voit le jour ou est mis à jour de manière significative, les procédures et les outils de l’entreprise permettent sa modération conformément aux responsabilités en matière de droits humains de l’entreprise.

* Les résumés de cas donnent un aperçu des cas et n’ont pas valeur de précédent.

Décision complète sur le cas

1. Description du cas et contexte

En janvier 2025, un utilisateur d’Instagram en Argentine a publié un carrousel de huit images ne présentant que du texte en espagnol et formant un poème. La publication a été partagée quelques jours après un discours du président du pays, Javier Milei, lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial, dans lequel il défendait ses politiques économiques et critiquait le « féminisme radical » et le « programme LGBT ».

Le poème critique de manière générale le gouvernement argentin, ses politiques et ce qu’il décrit comme la « violence » qui en découle. Il critique également l’absence de réaction politique face aux changements de politique sociale et économique qui, selon l’utilisateur, ont des répercussions sur les groupes vulnérables. Il appelle à la manifestation et a été publié peu avant que des milliers de personnes descendent dans les rues de Buenos Aires, la capitale de l’Argentine, pour manifester en participant à ce qui fut appelé la Marche fédérale des fiertés antifascistes et antiracistes.

Le poème reprenait deux insultes, « puto » et « trava » (utilisées fréquemment pour cibler respectivement les hommes homosexuels et les femmes trans), pour les critiquer. Sur la deuxième image de la publication, le poème suppose que le lecteur ne se sent pas concerné par le contexte politique, car il n’est « pas un puto, ni une trava, une femme, une personne à la retraite ou un étudiant ». La quatrième image utilise aussi le terme « puto » pour décrire les personnes qui déclarent avoir des amis homosexuels, mais ne manifestent pas pour défendre leurs intérêts. Le poème utilise un argumentaire similaire quant aux parents de filles qui soutiennent le droit à l’avortement. Alors que les termes « puto » et « trava » sont considérés comme des insultes dans les pays d’Amérique latine y compris l’Argentine, les personnes LGBTQIA+ se les sont réappropriés et les utilisent pour s’identifier dans des contextes de reprise de contrôle. Le poème interpelle ensuite les lecteurs, indiquant que l’auteur manifestera pour les droits de ces personnes qui préfèrent rester chez elles quand « ils viendront vous chercher ». La publication a été aimée environ 1000 fois et la deuxième image a été vue environ 6000 fois. Aucun utilisateur ne l’a signalée.

Un jour après la publication du contenu, les systèmes automatisés de Meta ont identifié la deuxième image contenant les deux insultes comme potentiellement en infraction et l’ont envoyée pour un examen manuel approfondi. La quatrième image contenant une insulte n’a pas été détectée par les systèmes automatisés de Meta et n’a pas été envoyée pour examen approfondi. Seule l’image identifiée contenant deux insultes, et non toutes les images du carrousel, était visible par le modérateur, qui a estimé qu’elle enfreignait la politique de Meta en matière de conduite haineuse. Meta a donc supprimé cette image, laissant le reste du carrousel visible, et a appliqué une sanction standard au compte de l’utilisateur. Le jour même, l’utilisateur a fait appel de la décision de Meta, et un deuxième modérateur a confirmé la décision initiale.

L’utilisateur qui a publié le contenu a alors fait appel de la décision de Meta auprès du Conseil de surveillance. Lorsque le Conseil a sélectionné ce cas, les experts en politique de Meta ont réexaminé la publication, en ayant accès à toutes les images. L’entreprise est revenue sur sa décision initiale, a restauré l’image dans le carrousel et a supprimé la sanction infligée au compte de l’utilisateur.

Le Conseil a tenu compte du contexte suivant pour prendre sa décision :

En 2024, le président Milei a mis en œuvre des réformes économiques en réponse à la crise économique prolongée que traverse l’Argentine. En outre, le président Milei a publié plusieurs décrets exécutifs. Les groupes de la société civile ont condamné ces décrets, affirmant qu’ils portaient atteinte aux droits des personnes LGBTQIA+. Ces groupes ont également exprimé leurs préoccupations concernant les discours anti-LGBTQIA+ tenus par des responsables gouvernementaux. Les politiques économiques et sociales du gouvernement ont déclenché plusieurs manifestationsnationales organisées par des étudiants, des retraités, des organisations de la société civile, des syndicats et des partis d’opposition.

Le gouvernement a introduit de nouvelles directives pour contrôler les manifestations de rue au cours du même mois où il a pris le pouvoir, en décembre 2023, y compris des mesures qui, selon les groupes de la société civile, pourraient dissuader les manifestants ou même criminaliser les manifestations. Depuis, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a exprimé sa préoccupation face aux informations faisant état d’un recours excessif à la force par les services de sécurité de l’État lors des manifestations. La CIDH a souligné la « forte tradition d’engagement civique » de l’Argentine et a appelé ce pays à « respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ». Plusieurs organisations, dont PEN International, Amnesty International et le Forum argentin du journalisme, ont constaté un recul de la liberté d’expression en Argentine depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Milei.

2. Soumissions de l’utilisateur

Dans son appel auprès du Conseil, l’utilisateur qui a publié le contenu a déclaré que la publication « utilisait un langage artistique et stimulant pour susciter l’intérêt du public de manière significative, sans promouvoir la haine, la discrimination ou la violence ». Il a déclaré que la publication avait été « partagée dans le but de favoriser la compréhension et de susciter des conversations sur la responsabilité collective et les droits humains ». Concernant la forme de la publication, il a déclaré : « Ce type d’expression est ancré dans les traditions culturelles de la narration et de la critique, qui sont essentielles pour développer l’empathie et renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté ».

3. Politiques de Meta relatives au contenu et soumissions

I. Politiques de Meta relatives au contenu

Conformément à sa politique relative à la conduite haineuse, Meta supprime le contenu qui « décrit ou cible négativement des personnes par des injures ». Ces dernières sont définies comme « des mots qui créent intrinsèquement une atmosphère d’exclusion et d’intimidation à l’encontre de personnes sur la base d’une caractéristique protégée, souvent parce que ces mots renvoient à une discrimination, une oppression et une violence historiques ».

Dans la justification de la Politique, Meta reconnaît que dans certains cas, les insultes sont utilisées pour « les condamner ou les signaler ». Meta reconnaît également que parfois, des « discours, y compris des insultes, qui pourraient enfreindre nos standards sont utilisés de manière autoréférentielle ou de manière valorisante. » Dans sa mise à jour de la politique en matière de conduite haineuse du 7 janvier, Meta précise que les insultes peuvent faire exception uniquement quand les intentions de l’utilisateur sont claires.

Les directives internes destinées aux examinateurs définissent plus précisément les exception aux sanctions. La condamnation est décrite comme « dénoncer ou contester l’utilisation d’insultes ou la conduite haineuse », ce qui peut inclure exprimer son incrédulité, critiquer et dénoncer, et rejeter l’utilisation d’insultes ou la conduite haineuse.

II. Soumissions de Meta

Meta a désigné les termes « puto » et « trava » comme des insultes dans ses directives internes. Cependant, lorsque le Conseil a sélectionné le cas, Meta est revenue sur sa décision initiale de supprimer l’image du carrousel, concluant qu’elle ne constituait pas une infraction à la politique relative à la conduite haineuse, car les insultes étaient utilisées dans un « contexte de condamnation ». Meta a déclaré : « Bien que la publication utilise des insultes, celles-ci ne visent pas à cibler une personne ou un groupe de personnes de manière haineuse en raison de leurs caractéristiques protégées. Au contraire, les insultes sont utilisées de manière artistique pour condamner le gouvernement Milei en utilisant des termes souvent utilisés dans les propos anti-LGBTQ+. En d’autres termes, la publication condamne la même discrimination que celle à laquelle font référence les insultes. »

Lorsque le Conseil a demandé comment Meta avait déterminé que les insultes étaient utilisées dans un « contexte de condamnation », Meta a répondu que le contenu « condamnait globalement les propos anti-LGBTQ+ perçus du gouvernement Milei... mais d’une manière non haineuse et critique ». De plus, « bien que les insultes elles-mêmes ne soient pas l’objet explicite de la condamnation de l’auteur, elles sont utilisées comme exemple de la manière dont la communauté LGBTQ+ peut être attaquée » et « l’auteur condamne l’utilisation généralisée de ce type de termes et la conduite haineuse de manière plus large ».

Meta a précédemment déclaré au Conseil que ses politiques n’accordent généralement pas la possibilité aux modérateurs à grande échelle de déterminer l’intention des utilisateurs. D’après l’entreprise, dans un souci de cohérence et d’application équitable de ses règles, elle n’exige pas que les équipes d’examen à grande échelle « déduisent l’intention ou devinent ce qu’une personne “veut réellement dire” », car « deviner l’intention derrière un discours haineux invite à la subjectivité, aux préjugés et à une application inéquitable » (voir Violence à l’égard des femmes). Lorsque le Conseil a demandé à Meta de clarifier cette position, compte tenu de l’accent mis désormais sur l’intention de l’utilisateur dans la section relative aux exceptions en matière d’insultes de la politique relative à la conduite haineuse, l’entreprise a répondu qu’elle ne voyait pas de contradiction. Selon Meta, « la politique établit un équilibre dans la mesure où nous ne demandons pas aux modérateurs de déduire l’intention de l’auteur, mais où nous pouvons tenir compte de cette intention lorsqu’elle est claire à la lecture du contenu, afin de nous assurer que nous autorisons les propos licites ». Dans ce cas, « il ressort clairement du texte lui-même [...] que l’intention de l’auteur est de débattre et de contester ceux qui ont voté pour le gouvernement actuel, qui, selon lui, a commis des actes de violence ».

À la question de savoir comment l’entreprise s’assure que les outils utilisés par les modérateurs sont adaptés aux nouveaux types de contenu, Meta a répondu que toutes les équipes procèdent à une évaluation des risques afin de garantir que les différents types de contenu (tels que les carrousels, les stories ou les reels Instagram) s’intègrent dans les outils de modération de contenu de l’entreprise dès leur lancement, et que de nouveaux outils peuvent être créés ou adaptés pour répondre aux exigences spécifiques de ces types de contenu.

Le Conseil a posé des questions sur : les exceptions à l’interdiction des insultes prévue par la politique relative à la conduite haineuse ; les pratiques d’application de la politique concernant les publications sous forme de carrousels sur Instagram ; et la diligence raisonnable en matière de droits humains mise en œuvre pour atténuer les risques liés au lancement de différents types de contenus, tels que les images, les vidéos et les albums d’images comme les carrousels. Meta a répondu à toutes les questions. Cependant, Meta a refusé de laisser le Conseil publier des informations relatives aux pratiques de mise en application de l’entreprise concernant les publications en carrousel sur Instagram, en particulier celles liées aux questions du Conseil sur le moment où les modérateurs ont accès à l’intégralité du carrousel d’images.

4. Commentaires publics

Le Conseil a reçu deux commentaires publics qui répondent aux critères de soumission. L’un de ces commentaires a été soumis en Amérique latine et Caraïbes, tandis que le deuxième venait d’Asie-Pacifique et Océanie. Pour consulter les commentaires publics soumis accompagnés d’un consentement à la publication, cliquez ici.

Les soumissions portaient sur les thèmes suivants : la signification et les utilisations des termes « puto » et « trava » dans leur contexte ; la récupération et la réappropriation des insultes ; l’impact de la nouvelle politique relative à la conduite haineuse de Meta sur les personnes LGBTQIA+ ; et les approches visant à modérer l’expression artistique, y compris le discours politique.

5. Analyse du Conseil de surveillance

Le Conseil a sélectionné ce cas afin d’aborder la question récurrente de la mise en application excessive des Standards de la communauté de Meta visant à supprimer les discours politiques. Cela revêt une importance particulière compte tenu des élections législatives prévues en Argentine le 26 octobre 2025. Le Conseil a également sélectionné ce cas afin d’examiner la manière dont Meta modère les types de contenus en plusieurs parties, tels que les carrousels Instagram, ainsi que les répercussions de ces pratiques de mise en application sur la liberté d’expression. Ce cas correspond aux priorités stratégiques du Conseil, à savoir les élections et l’espace civique, ainsi que les discours haineux à l’encontre des groupes marginalisés.

Le Conseil a analysé les décisions de Meta dans les cas présents et les a comparées à ses politiques relatives au contenu, à ses valeurs et à ses responsabilités en matière de droits humains. Il a également évalué les implications de ce cas-ci sur l’approche plus globale de la gouvernance du contenu par Meta.

5.1 Respect des politiques de Meta relatives au contenu

I. Règles relatives au contenu

Le Conseil estime que, malgré l’utilisation de deux insultes, la publication n’enfreint pas la politique relative à la conduite haineuse. Comme l’utilisateur l’a indiqué dans sa déclaration au Conseil, les insultes sont utilisées comme « langage provocateur » et ne visent pas négativement une personne ou un groupe en raison de ses caractéristiques protégées. Le Conseil estime que les insultes sont utilisées pour caractériser les personnes qui se considèrent comme des alliés LGBTQIA+ — et qui se sentent donc à l’aise d’utiliser des insultes en se les appropriant — mais qui ne sont pas disposées à protester au nom des personnes LGBTQIA+. Lorsqu’on la lit dans son intégralité, la publication condamne de manière générale l’indifférence à l’égard des récentes mesures gouvernementales ayant des répercussions sur les groupes vulnérables, y compris les personnes LGBTQIA+, et appelle à agir en leur nom sous la forme de manifestations. La réappropriation et la réutilisation des insultes pour renforcer l’expression politique sont des pratiques courantes chez les militants LGBTQIA+ en Argentine (voir CP-31290), en particulier en ce qui concerne l’un des termes (« trava ») en cause dans ce cas. Par conséquent, la publication remplit les conditions requises pour bénéficier de l’exception relative à l’utilisation des termes à des fins de « condamnation ou de sensibilisation » et d’« autonomisation ».

Le Conseil note que la publication ne correspond pas exactement à l’une de ces exceptions, mais touche plutôt à plusieurs d’entre elles (voir Réappropriation de mots arabes pour une approche similaire). En effet, la publication ne condamne pas spécifiquement l’utilisation des insultes mentionnées dans la publication, ni ne condamne explicitement la « conduite haineuse », comme l’exigent les directives internes de Meta en matière de réprobation. La publication nécessite plutôt une compréhension plus large de la réprobation du contexte politique. Le Conseil estime que la conclusion finale de Meta selon laquelle la publication condamne « le gouvernement Milei en utilisant des termes souvent utilisés dans les propos anti-LGBTQ+ » est une interprétation possible du contenu. Le Conseil reconnaît également que l’approche révisée de Meta pour évaluer le contenu correspond davantage à la manière dont le Conseil a précédemment suggéré à l’entreprise d’évaluer le contenu (c’est-à-dire de manière non littérale et en évaluant le contenu dans son ensemble et dans son contexte). Toutefois, le Conseil souligne qu’il est essentiel de comprendre que la publication condamne également l’indifférence des gens face aux changements sociaux, politiques et économiques qui, selon l’utilisateur, ont des répercussions négatives sur certains groupes vulnérables, et appelle les gens à protester.

Cependant, le Conseil n’est pas convaincu que l’approche adoptée par Meta pour modérer les publications en carrousel dans ce cas aurait permis aux modérateurs à grande échelle d’interpréter correctement la publication et de prendre la bonne décision de mise en application. En ne voyant que l’image potentiellement en infraction de la publication carrousel, les modérateurs n’ont pas été en mesure d’évaluer le contenu dans son intégralité. De plus, les directives internes empêchent les modérateurs de prendre en compte le contexte dans la publication et en dehors de celle-ci pour déterminer l’intention et la signification. Il s’agit là de questions distinctes qui sont abordées respectivement dans les sections « Mesures de mise en application » et « Légalité » ci-dessous. Si chacune d’entre elles aurait conduit à une décision d’application incorrecte, le Conseil note que dans le cas présent, elles se sont aggravées mutuellement.

II. Mesures de mise en application

Ce cas soulève de sérieuses préoccupations quant à une éventuelle mise en application excessive résultant de la mise en application par Meta sur les carrousels Instagram, où le sens d’une publication est censé se dévoiler en plusieurs images.

Le Conseil a maintes fois exhorté Meta à examiner le contenu dans son ensemble à grande échelle, plutôt que de procéder à des évaluations basées sur des parties isolées du contenu (voir, entre autres, Collier de Wampum). Dans Images de femmes autochtones partiellement nues, le Conseil a constaté que, comme dans le cas présent, les modérateurs de Meta n’avaient accès qu’à une seule image d’une publication sous forme de carrousel et auraient dû tenir compte du contexte supplémentaire fourni par les autres photos du carrousel pour déterminer si le contenu pouvait être autorisé à rester sur Instagram. Les mesures de mise en application dans ce cas, où seule l’image identifiée contenant deux insultes était visible par l’examinateur, signifient qu’en pratique, l’examinateur n’a pas pu évaluer la publication en carrousel dans son ensemble. Le Conseil estime qu’il était pratiquement impossible pour un examinateur de juger que les insultes utilisées dans ce cas l’avaient été dans un contexte acceptable sans avoir accès à l’ensemble des images, étant donné qu’elles formaient dans leur ensemble un poème qui ne pouvait être compris que dans son intégralité.

Le Conseil souligne que les publications sous forme de carrousel ont été lancées sur Instagram il y a plus de huit ans. Le Conseil s’inquiète de la mise en application excessive et répétée résultant d’erreurs telles que celle observée dans le cas présent, où les modérateurs n’avaient pas accès à l’intégralité du carrousel lorsqu’ils ont pris des décisions concernant une image spécifique du carrousel. Il s’inquiète également des répercussions potentielles sur la liberté d’expression des utilisateurs résultant de la suppression de certaines images des publications en carrousel. Auparavant, dans le cas Réappropriation de mots arabes, le Conseil avait examiné une publication sous forme de carrousel qui était essentiellement informative et présentée comme une série de déclarations distinctes. Dans ce cas, le Conseil avait estimé que la suppression de l’ensemble du carrousel ne constituerait pas une réponse appropriée, « même si le carrousel avait inclus une image contenant des propos injurieux interdits non couverts par une exception ». Par ailleurs, le contenu de ce cas montre comment les publications sous forme de carrousel peuvent également permettre aux utilisateurs de s’exprimer de manière narrative à travers plusieurs images. Si la suppression de certaines images peut entraîner une restriction moindre de la liberté d’expression (voir Réappropriation de mots arabes), elle peut également modifier ou déformer le sens voulu par l’utilisateur, ce qui est exacerbé si les internautes ne savent pas clairement qu’une image a été supprimée.

Les pratiques de mise en application de Meta devraient tenir compte des différents modes d’expression rendus possibles par les publications sous forme de carrousel. À l’instar de ce que le Conseil a déjà recommandé (voir Manifestations pro-Navalny en Russie, recommandation n° 6), Meta pourrait notamment le faire en informant l’utilisateur qu’une partie de son contenu a été supprimée (dans le cas présent, une partie d’une publication sous forme de carrousel). Meta pourrait alors lui donner la possibilité de modifier ou de supprimer l’intégralité de la publication si le sens qu’il souhaitait lui donner a été altéré. Le Conseil a également déjà recommandé à Meta de permettre aux utilisateurs d’indiquer dans leurs appels que leur contenu relève de l’une des exceptions à la politique relative à la conduite haineuse (voir Meme aux deux boutons, recommandation n° 4).

Dans ce cas, le Conseil recommande à Meta de mettre en place une procédure d’examen périodique de ses pratiques de mise en application et de ses outils de modération de contenu afin de s’assurer qu’ils s’intègrent à différents types de contenu, tels que les images, les carrousels d’images et les vidéos. La première phase de cette procédure pourrait intégrer les évaluations des risques que l’entreprise a déclaré au Conseil avoir déjà engagées avant le lancement de nouveaux types de contenu, mais elle devrait aborder spécifiquement la manière dont Meta prévoit de s’acquitter de ses responsabilités en matière de droits humains lors de la modération de types de contenu distincts qui permettent aux utilisateurs de s’exprimer de différentes manières. L’examen périodique post-lancement devrait évaluer la manière dont les utilisateurs exploitent réellement les types de contenu et examiner comment Meta s’acquitte de ses responsabilités en matière de droits humains dans la pratique, grâce à des tests continus en direct portant sur la modération des nouveaux types de contenu, l’identification des problèmes et leur atténuation.

Le Conseil s’attend également à ce que, parallèlement au déploiement de nouveaux types de contenus, Meta développe les outils de détection automatisés nécessaires à l’application de ses politiques, en intégrant les normes relatives aux droits humains dans leur conception et leur mise en œuvre. Le Conseil souligne que Meta a publiquement reconnu utiliser des modèles linguistiques à grande échelle pour certaines tâches liées à la mise en application, comme la suppression de contenus potentiellement non en infraction des files d’attente de révision dans certaines circonstances. Il est important que ces outils aient la capacité d’empêcher une mise en application excessive en examinant les signaux provenant des publications dans leur ensemble, plutôt que de rechercher des infractions potentielles isolées dans des parties de la publication qui ne sont pas en infraction lorsqu’elles sont considérées dans leur globalité.

Enfin, afin de réduire le risque d’erreurs telles que celle constatée dans le cas présent, le Conseil recommande également à Meta d’autoriser les modérateurs à voir l’intégralité des carrousels lorsqu’une seule image est envoyée pour modération. Le Conseil reconnaît qu’une décision de ce type concernant un produit implique plusieurs compromis. Par exemple, élargir l’accès des modérateurs aux publications sous forme de carrousel pourrait augmenter le temps qu’ils consacrent à l’examen des publications. Cependant, comme le Conseil l’a indiqué dans sa décision concernant le Premier ministre cambodgien, Meta devrait mettre en œuvre des fonctionnalités produit et des directives opérationnelles permettant une modération plus précise des contenus longs. Dans le cas présent, Meta devrait veiller à ce que les modérateurs puissent voir tous les éléments d’une publication, y compris toutes les images du carrousel, lorsqu’ils le jugent nécessaire.

5.2 Respect des responsabilités de Meta en matière de droits humains

Le Conseil estime que le maintien de la publication sur la plateforme, tel que l’exige une interprétation correcte des politiques de Meta en matière de contenu, est également conforme aux responsabilités de Meta en matière de droits humains.

Liberté d’expression (article 19 du PIDCP)

L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) prévoit une large protection de la liberté d’expression, notamment dans le cadre de la politique, des affaires publiques et des droits humains, ainsi que de l’expression culturelle et artistique (observation générale n° 34, paragraphes 11 et 12). Il offre une protection « particulièrement élevée » au « débat public concernant les personnalités politiques et les institutions publiques », en tant qu’élément essentiel à la conduite d’affaires publiques (observation générale n° 34, paragraphe 38, voir également observation générale n° 25, paragraphes 12 et 25). Ce principe s’étend aux expressions pouvant être considérées comme « très offensantes » (observation générale n° 34 [2011], paragraphe 11 ; voir aussi le paragraphe 17 du rapport de 2019 du Rapporteur spécial des Nations Unies (ONU) sur la liberté d’expression, A/74/486 et Publications affichant le drapeau sud-africain de la période de l’Apartheid). Cette publication porte également sur la discrimination à l’égard des personnes LGBTQIA+. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a fait part de ses préoccupations concernant les restrictions discriminatoires imposées à la défense des droits des personnes LGBTQIA+, qui entraînent des restrictions à la liberté d’expression (A/HRC/19/41, paragraphe 65).

Lorsque des restrictions de la liberté d’expression sont imposées par un État, elles doivent remplir des critères de légalité, d’objectif légitime, ainsi que de nécessité et de proportionnalité (article 19, paragraphe 3 du PIDCP). Ces exigences sont souvent reprises sous l’intitulé « test tripartite ». Le Conseil s’appuie sur ce test afin d’interpréter les responsabilités de Meta en matière de droits humains conformément aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU, que Meta s’est engagée à respecter dans sa Politique relative aux droits humains. Le Conseil utilise ce test à la fois pour la décision relative au contenu en cours d’examen et pour ce que cela dit de l’approche plus large de Meta en matière de gouvernance du contenu. Comme l’a déclaré le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression, même si « les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes devoirs que les gouvernements, leur influence est néanmoins telle qu’elle doit les inciter à se poser les mêmes questions qu’eux quant à la protection de la liberté d’expression de leurs utilisateurs » (A/74/486, paragraphe 41). À cet égard, le Conseil estime que la décision initiale de Meta de supprimer le contenu en vertu de ses politiques ne répondait pas à ces exigences.

I. Légalité (clarté et accessibilité des règles)

Le principe de légalité requiert des règles qui limitent la liberté d’expression qu’elles soient accessibles et claires. Les restrictions de l’expression doivent être formulées avec suffisamment de précision pour permettre aux individus d’adapter leur conduite en conséquence (observation générale n° 34, paragraphe 25). De plus, ces règles doivent « énoncer des règles suffisamment précises pour permettre aux personnes chargées de leur application d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et quelles formes d’expression le sont indûment » (Ibid.). Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression a déclaré que lorsqu’elles s’appliquent aux acteurs privés, les règles régissant le discours en ligne devaient être claires et précises (A/HRC/38/35, paragraphe 46). Les personnes utilisant les plateformes de Meta doivent pouvoir accéder aux règles et les comprendre, et les équipes d’examen de contenu doivent disposer de conseils clairs sur leur application.

Le Conseil estime que l’interdiction par Meta des propos injurieux et les exceptions destinées au public concernant les utilisations autorisées de propos injurieux (condamnation, signalement, autoréférence et prise de contrôle) sont suffisamment claires telles qu’elles sont appliquées dans le cas présent.

Comme le Conseil l’a indiqué dans des décisions antérieures, Meta pourrait améliorer la mise en application à grande échelle des exceptions relatives aux insultes en fournissant des directives plus claires aux modérateurs afin qu’ils évaluent le contenu dans son intégralité et tiennent compte du contexte local lorsqu’ils déterminent l’intention et la signification (voir par exemple Collier de Wampum). Les experts en politique de Meta se sont appuyés sur une série d’indices contextuels concernant l’intention de l’utilisateur et la politique argentine contemporaine pour déterminer que les insultes contenues dans la deuxième image ne constituaient pas une infraction, après que le Conseil a identifié le contenu. Comme le Conseil l’a évoqué dans plusieurs cas (voir par exemple, Violence à l’égard des femmes), les directives actuelles destinées aux modérateurs limitent considérablement la possibilité de ce type d’analyse contextuelle, même lorsqu’il existe des indices clairs indiquant que le contenu peut bénéficier d’une exception.

Bien que Meta ait déclaré au Conseil ne pas demander aux modérateurs de déduire l’intention de l’auteur, l’entreprise a précisé que les modérateurs pouvaient tenir compte de l’intention « lorsqu’elle ressort clairement du contenu ». Dans l’exemple fourni au Conseil, Meta a déclaré que les modérateurs sont habilités à conclure que l’auteur avait explicitement l’intention de condamner l’utilisation d’une insulte si le contenu stipule « Je dénonce l’utilisation de [insulte] ». Bien que les modérateurs puissent être habilités à déterminer l’intention dans des cas comme celui-ci, les déclarations d’intention peuvent prendre des formes beaucoup moins formelles (voir Citation nazie). Sur la base de ces facteurs, le Conseil n’est pas convaincu que les modérateurs soient suffisamment habilités à prendre en compte l’intention dans la pratique. Dans le poème de ce cas, par exemple, l’intention de l’utilisateur est claire, mais elle est exprimée de manière implicite à travers un langage artistique et des références à la politique argentine contemporaine. De plus, dans les décisions relatives au Collier de Wampum et au Meme aux deux boutons, le Conseil a déclaré qu’il n’était pas nécessaire qu’un utilisateur exprime explicitement son intention pour que celle-ci réponde aux exigences d’une exception à la politique en matière de discours haineux. Dans ces cas, le Conseil a déclaré qu’il suffisait que l’utilisateur exprime clairement son intention dans le contexte de l’ensemble de la publication. Permettre aux utilisateurs de communiquer leur intention de cette manière est conforme aux responsabilités de Meta en matière de droits humains concernant l’expression, ainsi qu’à ses propres valeurs. Lorsque Meta fait appel à des modérateurs, l’entreprise doit s’appuyer sur leur capacité d’interprétation pour tirer des conclusions à partir du contenu afin d’évaluer l’intention de l’utilisateur.

Comme le Conseil l’a souligné dans ses décisions précédentes, il est indispensable que les modérateurs possèdent des connaissances linguistiques et contextuelles locales adéquates afin de pouvoir évaluer avec précision le sens et l’intention des propos. Meta a précédemment indiqué au Conseil que les modérateurs sont « associés à leur marché sur la base de leurs compétences linguistiques et culturelles ainsi que de leur connaissance du marché ». Ces facteurs sont particulièrement importants, car depuis les modifications apportées le 7 janvier à la politique relative à la conduite haineuse, Meta s’appuie désormais sur l’intention claire de l’utilisateur pour déterminer si un contenu peut bénéficier d’une exception à la politique pour les insultes. Le Conseil a précédemment recommandé à Meta de mettre à jour ses directives internes afin de préciser les indicateurs fournis aux modérateurs pour accorder des exceptions lorsqu’ils examinent des contenus qui pourraient autrement être supprimés en vertu de la politique relative aux discours haineux (voir Violence à l’égard des femmes, recommandation n° 2). Pour permettre aux modérateurs de véritablement « tenir compte de l’intention » dans le cadre de telles exceptions, Meta doit reconnaître que la réprobation peut dépendre du contexte. Meta devrait mettre en œuvre des directives internes permettant aux modérateurs d’exercer leur jugement sur ce contexte lorsqu’ils évaluent des contenus.

II. Objectif légitime

Par ailleurs, toute restriction de la liberté d’expression à l’échelle d’un État doit au minimum répondre à l’un des objectifs légitimes énumérés dans le PIDCP, qui incluent la protection des « droits d’autrui ». Le Conseil a précédemment reconnu que le Standard de la communauté sur les discours haineux, désormais sur la conduite haineuse, poursuit l’objectif légitime de protéger les droits d’autrui. Dans la décision Réappropriation de mots arabes, par exemple, le Conseil a estimé que la politique en matière de discours haineux poursuivait l’objectif légitime de protéger les droits d’autrui à l’égalité et de les protéger contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

III. Nécessité et proportionnalité

Conformément à l’article 19(3) du PIDCP, le principe de nécessité et de proportionnalité requiert que les restrictions de la liberté d’expression à l’échelle d’un État soient « appropriées pour remplir leur fonction de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger » (observation générale n° 34, paragraphe 34).

Le Conseil a déjà reconnu les préjudices potentiels pour les droits des personnes LGBTQIA+ que représente le fait de laisser les insultes homophobes et les discours haineux sur les plateformes de Meta, ainsi que le rôle que joue la politique relative à la conduite haineuse dans le respect de ces droits (voir par exemple Publication en polonais ciblant les personnes trans, Manifestations en Colombie et Réappropriation de mots arabes). Le Conseil a sollicité l’avis d’experts linguistiques et des commentaires publics qui ont confirmé que les termes utilisés dans ce cas sont considérés comme des insultes dans les pays d’Amérique latine, y compris en Argentine. Cependant, ils peuvent faire l’objet d’une réappropriation en tant que marqueurs d’identité et qu’« expression[s] de résistance » (CP-31290).

Les insultes utilisées dans cette publication ne visaient pas négativement un individu ou un groupe en particulier, mais avaient pour but de critiquer les politiques économique et sociale du gouvernement argentin. La publication incite les lecteurs à réfléchir à leur propre position dans le contexte politique argentin et à participer à des manifestations. Les Argentins utilisent régulièrement les réseaux sociaux pour se mobiliser autour de questions politiques et sociales. Dans le cas présent, les insultes ont été utilisées pour lutter contre l’indifférence sociale face aux mesures récentes qui ont des répercussions sur certains groupes vulnérables, notamment les personnes LGBTQIA+. Compte tenu de ces facteurs, le Conseil estime que la suppression du contenu n’était pas nécessaire pour protéger les personnes LGBTQIA+ contre la discrimination.

Dans le cadre de ses préparatifs pour les élections législatives d’octobre 2025 en Argentine, Meta devrait veiller à ce que les discours politiques utilisant les insultes examinées dans ce cas et d’autres similaires dans des contextes autorisés ne soient pas supprimés inutilement. Pour cela, Meta doit s’appuyer sur la conception plus large de la réprobation du contexte politique évoquée précédemment. Le commentaire public de l’organisation de défense des droits numériques Derechos Digitales et de l’organisation de la société civile Conectando Derechos (CP-31290) souligne que ces insultes sont des « piliers de l’identité politique » des personnes et des militants LGBTQIA+, et que leur utilisation dans le poème vise à « amplifier et rendre visibles les voix des groupes directement touchés par les mesures du gouvernement argentin ».

Les commentaires publics reçus pour ce cas préconisent d’examiner le contenu du cas à la lumière des modifications apportées par Meta le 7 janvier 2025 à sa politique relative à la conduite haineuse (voir CP-31290 et CP-31289). En annonçant ces modifications, Meta a déclaré qu’elle souhaitait réduire le nombre d’erreurs et supprimer moins de contenus ne constituant pas une infraction. Le Conseil a déjà évoqué le risque d’erreurs disproportionnées dans la modération des discours récupérés ou réappropriés par les communautés queer et a souligné les répercussions négatives des suppressions injustifiées (voir Réappropriation de mots arabes et Terme réapproprié lors d’une performance drag). Dans ces cas, le Conseil a affirmé que la mise en application excessive de la politique sur ce type de discours constituait une « menace grave pour leur liberté d’expression ».

Dans ce cas, le Conseil réitère son appel à Meta pour qu’elle soit « particulièrement sensible à la possibilité d’une suppression injustifiée » des discours réappropriés, « compte tenu de l’importance de [ces discours] pour les personnes LGBTQIA+ dans la lutte contre la discrimination ». L’orientation sexuelle et l’identité de genre restent des caractéristiques protégées dans la politique relative à la conduite haineuse, et les exceptions à la politique pour les insultes offrent une protection aux expressions qui réutilisent et se réapproprient les insultes pour défendre les droits des personnes LGBTQIA+. Meta devrait veiller à ce que ses pratiques de mise en application rendent cette protection efficace.

6. Décision du Conseil de surveillance

Le Conseil annule la décision initiale de Meta de supprimer le contenu.

7. Recommandations

Mise en application

1. Afin que le contexte complet d’une publication puisse être pris en compte lors de la modération, Meta doit veiller à ce que les modérateurs qui examinent du contenu issu d’un carrousel puissent voir l’ensemble du contenu de la publication avant de prendre une décision, même si une seule image a été envoyée pour l’examen manuel.

Le Conseil considérera cette recommandation comme mise en œuvre lorsque Meta aura partagé avec lui la documentation interne détaillant ces changements dans l’interface des modérateurs.

2. Meta devrait mettre au point une procédure intégrée permettant d’assurer que lorsqu’un type de contenu voit le jour ou est mis à jour de manière significative, les procédures et les outils de l’entreprise permettent la modération conformément aux responsabilités en matière de droits humains de l’entreprise. Cette procédure doit inclure les éléments suivants :

  1. Une période préalable au lancement au cours de laquelle les politiques de mise en application, les directives opérationnelles et les décisions relatives aux produits examinés sont établies, testées et soumises à des équipes interfonctionnelles qui recherchent de manière proactive les vulnérabilités, selon une méthodologie prédéfinie.
  2. Une période post-lancement limitée dans le temps, comprenant des tests en direct périodiques, l’identification et l’atténuation des problèmes, qui traite spécifiquement les différents modes d’expression rendus possibles par le type de contenu.

Le Conseil considérera cette recommandation comme mise en œuvre lorsque Meta partagera avec lui la documentation interne détaillant cette procédure et l’alertera à chaque fois qu’elle sera activée par une mise à jour asynchrone.

* Note de procédure :

  • Les décisions du Conseil de surveillance sont prises par des panels de cinq membres et approuvées par une majorité du Conseil dans son ensemble. Les décisions du Conseil ne représentent pas nécessairement les opinions de tous les membres.
  • En vertu de sa Charte, le Conseil de surveillance est habilité à examiner les appels déposés par les utilisateurs dont le contenu a été supprimé par Meta, les appels déposés par les utilisateurs ayant signalé un contenu que Meta n’a finalement pas supprimé, et les décisions que Meta lui transmet (article 2, section 1 de la Charte). Le Conseil dispose d’une autorité contraignante pour confirmer ou annuler les décisions de Meta relatives au contenu (article 3, section 5 de la Charte ; article 4 de la Charte). Le Conseil est habilité à émettre des recommandations non contraignantes auxquelles Meta doit répondre (article 3, section 4 de la Charte ; article 4). Lorsque Meta s’engage à donner suite aux recommandations, le Conseil surveille leur mise en œuvre.
  • Pour la décision sur ce cas, des recherches indépendantes ont été commandées au nom du Conseil. L’entreprise Lionbridge Technologies, LLC, dont les spécialistes parlent couramment 350 langues et travaillent dans 5000 villes du monde entier, a fourni son expertise linguistique.

Retour aux décisions de cas et aux avis consultatifs politiques